Le Maître Zen délivre ses conseils à Google et d’autres géants de la technologie sur la façon d’être une véritable force positive pour le monde.
TRADUCTION de l’Anglais – Article paru le 28 mars 2014 dans The Guardian (UK)
Par Jo Confino.
La pleine conscience est devenue un sujet de plus en plus populaire parmi les chefs d’entreprise, plusieurs dirigeants clé s’étant exprimés publiquement ces derniers mois sur la manière dont elle les aide à améliorer leurs résultats.
La semaine dernière, le PDG d’Intermix, Khajak Keledjian, a confié au Wall Street Journal quelques-uns de ses secrets en faveur de la paix intérieure. Quant à Arianna Huffington, rédactrice en chef du Huffington Post, elle a abordé le thème de la pleine conscience dans Thrive, son nouveau livre publié cette semaine. Parmi les autres chefs d’entreprise qui méditent, citons Mark Bertolini, PDG d’Aetna, Marc Benioff, PDG de Salesforce.com et Tony Hsieh, PDG de Zappos.com, pour n’en citer que quelques-uns.
Le mois dernier, Huffington écrivait sur un blog que « l’augmentation des profits n’a rien d’émotionnel. Nous vivons dans une économie difficile. … La réduction du stress et la pleine conscience ne nous rendent pas seulement plus heureux et plus sains, elles constituent un avantage concurrentiel avéré pour toute entreprise qui le souhaite ».
Mais en se concentrant sur les avantages de la pleine conscience, ces dirigeants d’entreprise corrompent-ils la pratique bouddhiste fondamentale ?
Pour Thich Nhat Hanh, le maître zen de 87 ans (en 2014) considéré par beaucoup comme le père de la pleine conscience en Occident, « tant que les chefs d’entreprise pratiqueront la ‘vraie’ pleine conscience, il importe peu que l’intention initiale soit déclenchée par le désir d’être plus efficace au travail ou de faire de plus gros profits. En effet, cette pratique va fondamentalement changer leur perspective sur la vie, car elle ouvre naturellement les cœurs à une plus grande compassion et développe le désir de mettre fin à la souffrance des autres ».
Assis dans une position de lotus sur le sol de son Monastère au Village des Pruniers près de Bordeaux, en France, Thây confie au Guardian : « Si vous savez comment pratiquer la pleine conscience, vous pouvez générer la paix et la joie ici et maintenant. Vous apprécierez ça et cela vous transformera. Au début, vous considérez que si vous ne pouvez pas devenir le numéro un, vous ne pouvez pas être heureux, mais si vous pratiquez la pleine conscience, vous pourrez facilement vous libérer de ce genre d’idée. Nous ne devons pas craindre que la pleine conscience ne devienne qu’un moyen et non une fin car, dans la pleine conscience, le moyen et la fin sont la même chose. Il n’y a pas de chemin vers le bonheur ; le bonheur est le chemin ».
Cependant, Thây, comme le surnomment ses centaines de milliers de disciples dans le monde entier, souligne que si les cadres sont dans la pratique pour des raisons égoïstes, ils ne pourront faire l’expérience que du pâle reflet de ce qu’est la pleine conscience.
« Si vous considérez la pleine conscience comme un moyen de gagner beaucoup d’argent, alors vous n’avez pas touché à son véritable objectif », dit-il. « Cela peut ressembler à la pratique de la pleine conscience mais, à l’intérieur, il n’y a pas de paix, pas de joie, pas de bonheur généré. Ce ne sont que des imitations. Si vous ne ressentez pas l’énergie de la fraternité, de la sororité, qui rayonne de votre travail, ce n’est pas de la pleine conscience ».
Et comme il le précise : « Si vous êtes heureux, vous ne pouvez pas être victime de votre bonheur. Mais si vous avez du succès, vous pouvez être victime de votre succès ».
Le risque de ridicule
Même si la pratique de la pleine conscience se généralise aujourd’hui, de nombreuses organisations restent très nerveuses à l’idée d’être ridiculisées en s’associant directement à une ancienne pratique bouddhiste.
Thây a récemment été invité au siège de la Banque mondiale à Washington pour un événement qui remporta un succès certain auprès du personnel. Son Président, Jim Yong Kim, dont le livre préféré est un de ceux qu’écrivit Thây, Le Miracle de la pleine conscience, fait l’éloge de la pratique du moine zen pour être « profondément passionné et compatissant envers ceux qui souffrent ».
Cela n’a pas empêché certains de ses confrères de haut rang, nerveux quant à la façon dont une telle visite serait perçue par le monde extérieur, de critiquer cette initiative avant l’événement. Le journal The Economist en a d’ailleurs publié un article assez critique.
Malgré tout, Kim se montra déterminé. c’est ainsi qu’il expliqua au Guardian avoir repoussé les critiques en citant de nombreuses études scientifiques qui témoignent des avantages de la pleine conscience.
À la croisée de la pleine conscience et de la technologie
Dans le monde des affaires, le point de jonction le plus intéressant est peut-être celui qui existe entre la pleine conscience et la technologie dans la mesure où elles semblent à priori aller dans des directions opposées. La Pratique consiste à ralentir et à vider l’esprit, tandis que la révolution numérique accélère notre vie et nous remplit la tête de vastes quantités d’informations.
Malgré cela, leur histoire commune est longue. Citons notamment l’exemple de Steve Jobs, PDG d’Apple, fasciné par le Bouddhisme Zen, tandis que la pleine conscience est liée depuis des décennies au mode de vie californien, où sont implantées de nombreuses entreprises technologiques.
Ce n’est donc pas une grande surprise que Thây, qui a vendu plus de 2 millions de livres aux États-Unis, ait été invité à la Silicon Valley par Google et qu’on lui ait également demandé de mener une journée de pleine conscience réservée aux PDG de 15 des plus puissantes entreprises technologiques du monde.
Le principal message qu’a adressé Thây aux dirigeants du secteur technologique qu’il a rencontrés était de mettre leur influence mondiale au service de l’amélioration du monde, plutôt que de chercher à gagner le plus d’argent possible.
En compagnie d’un groupe de monastiques, Thây resta une journée au siège de Google, partageant son temps avec la Direction générale et guidant environ 700 employés dans des échanges en pleine conscience et des séances de méditation assise et marchée. Le nombre de personnes désireuses de participer était tel que l’entreprise a dû ouvrir deux sites supplémentaires pour diffuser son intervention en direct.
Thây évoque le contraste saisissant entre le rythme de travail frénétique habituel du géant de la technologie et le sentiment de paix émanant du simple fait d’être assis en silence durant sa journée de pleine conscience sur le campus de Google. « L’atmosphère était totalement différente », dit-il. « Il y a un silence, il y a une paix qui se dégage du fait de ne rien faire. Et dans cet espace, chacun peut percevoir combien le temps est précieux ».
Conseils pour l’industrie technologique
Au cours de sa visite, qui avait pour thème « l’intention, l’innovation, la vision profonde », Thây a rencontré un certain nombre d’ingénieurs principaux de Google. Ensemble, ils ont examiné comment l’entreprise pourrait mettre la technologie au service d’une plus grande compassion et d’une plus grande efficacité pour contribuer à un changement positif dans le monde, au lieu d’accroître le stress et l’isolement des personnes, tant entre elles qu’avec la nature.
Lors de cette journée de pleine conscience avec les PDG, Thây a proposé une méditation silencieuse et a offert une cérémonie du thé dans la tradition zen avant d’expliquer au groupe de milliardaires à quel point il est important qu’ils résistent, en tant qu’individus, à la tentation d’être absorbés par le travail au détriment du temps passé avec leur famille : « Le temps n’est pas de l’argent », leur a-t-il dit. « Le temps, c’est la vie, le temps, c’est l’amour ».
De retour à son Monastère du Village des Pruniers, près de Bordeaux, Thây évoque son voyage : « Au cours de toutes ces visites, je leur ai conseillé de gérer leurs affaires de sorte que le bonheur soit accessible à tous les membres de l’entreprise. Quel est l’intérêt d’avoir plus d’argent si vous souffrez davantage ? Ils doivent aussi comprendre que si leur aspiration est juste, ils seront plus heureux parce qu’aider la société à changer donne un sens à la vie ».
Le voyage n’était qu’un début, ajoute-t-il. « Je pense que nous avons planté un certain nombre de graines et qu’il faudra du temps pour que les graines arrivent à maturité », explique-t-il. « Si les participants commencent à pratiquer la pleine conscience, ils connaîtront la joie, le bonheur, la transformation, et ils pourront nourrir un autre type d’aspiration. La gloire, le pouvoir et l’argent ne peuvent pas offrir le bonheur véritable, contrairement à un mode de vie où chacun peut prendre soin de son corps et de ses sentiments ».
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