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La Robe de la falaise de la montagne

Institut Européen de Bouddhisme Appliqué
Waldbroel, Allemagne
2009

La nuit dernière, alors qu’il dormait ici, Thầy a fait un rêve. Il a vu qu’il escaladait une montagne avec le Bouddha et avec le petit Hải Triều Âm (le Son de la Marée Montante). Il était environ 2 heures du matin, soit 8 heures du matin au Vietnam.

Dans le rêve, le Bouddha était encore très jeune, dans la soixantaine. Thầy avait la cinquantaine et Hải Triều Âm était encore adolescent. Le Bouddha n’avait pas l’air potelé et joyeux comme Thầy Lệ Trang, mais plutôt maigre et grand comme Thầy Pháp Hộ. Il escaladait la montagne avec facilité ; Thầy suivait le Bouddha de très près et grimpait lui-même assez bien. Le petit Hải Triều Âm ne transportait ni coussin, ni thé, ni eau chaude. Il portait juste un sac à bandoulière marron peut-être vide. Le Bouddha n’avait pas emmené son bol et Thầy non plus. Même le petit Hải Triều Âm ne transportait pas son bol. Thầy et le petit Hải Triều Âm étaient censés jouer le rôle d’attendants (assistants) du Bouddha. Comment Thầy et le petit Hải Triều Âm pourraient-ils être aussi bons que Thầy Ananda puisqu’aucun des deux n’aidaient réellement le Bouddha ? Ils ne portaient même pas sa robe et son bol !

La montagne que le Bouddha, Thầy et le petit Hải Triều Âm escaladaient ensemble ressemblait un peu au pic du Vautour, mais ce n’était pas le pic du Vautour. Sur cette montagne, outre les falaises grises, il y avait aussi des roches brunes monolithiques beaucoup plus difficiles à escalader que le pic du Vautour. Dès que vous aviez escaladé un rocher, un autre apparaissait. Les rochers de la montagne se manifestaient constamment dans leur massivité infinie. Thầy ne ressentait aucune fatigue ; il est très probable que le petit Hải Triều Âm n’était pas fatigué lui non plus. C’est un grand bonheur d’escalader la montagne avec le Vénérable Bouddha ; pourquoi nous sentirions-nous fatigués, mes chers enfants ?

Dans la vie réelle, le petit Hải Triều Âm est le petit garçon prénommé TÝ dans le livre “The young guava leaf” (La jeune feuille de goyave) et le livre “The Bamboo of One Million Internodes” (Le bambou d’un million d’internodes). Il est aujourd’hui âgé une quarantaine d’années, il est marié et a un Doctorat en Droit. Dans le rêve, Hải Triều Âm n’avait que douze ans ; il était encore très innocent et attentif, comme à l’époque où il vivait dans le bâtiment des noix, au Hameau du Bas, au tout début du Village des Pruniers. Il était vêtu d’une petite robe de novice, de couleur grise, et il portait un sac en tissu brun. Thầy portait une robe marron et, le plus fascinant, c’est que le Bouddha lui aussi portait sa robe marron, et non la Sanghati de couleur cuivre comme celle des moines Theravada. Il semblait que le Bouddha aimait lui aussi porter la robe marron des moines et des nonnes du Vietnam. Ou peut-être le Bouddha voulait-il simplement être un bon compagnon et faire la même chose que Thầy et Hải Triều Âm ; c’est pourquoi il escaladait la montagne en robe marron. Au Village des Pruniers, on trouve des moines de tradition thaïlandaise, japonaise, coréenne, indonésienne, laotienne, sri-lankaise ou cambodgienne. Après avoir vécu un certain temps avec les moines du Village des Pruniers dans leur résidence du Hameau du Haut, plusieurs frères comme Thầy Pitaya, Thầy Shariputra, Thầy Doji, Thầy Ananda et le Novice Học Hiền ont rangé leur Sanghati afin de pouvoir porter les mêmes robes marron que nos frères. Ils ne revêtent leur Sanghati que lors des cérémonies de récitation ou de transmission des préceptes.

Dans le rêve, il y eut un moment où le Bouddha s’arrêta et s’assit au bord d’un petit cours d’eau coulant depuis une source au creux de la falaise. Thầy et Hải Triều Âm se tenaient un peu à l’écart, prêts à aider le Bouddha. Le petit Hải Triều Âm était très à l’aise. Il joignit ses paumes, leva les yeux et s’adressa au Bouddha en ces termes :

« Seigneur Bouddha, mon maître a dit que la couleur marron de la robe (áo tràng) que portent les moines et les nonnes au Vietnam, exprime la simplicité de la vie monastique ainsi que la force de l’esprit d’amour. Moi aussi, j’aime beaucoup cette simple couleur brune. Pourquoi l’appelle-t-on « áo tràng » ? Que signifie « áo tràng », Seigneur Bouddha ?

L’Honoré-par-le Monde contempla un moment la chaîne de montagnes au-dessus d’eux, puis il adressa aimablement ce message à Hải Triều Âm :

« Vous pouvez très bien appeler ce vêtement « la robe de la falaise de la montagne », ou « la robe du rocher de la montagne » ou « la robe de la falaise du rocher de la montagne ».

Le rêve de Thầy s’est arrêté soudainement après les paroles du Bouddha. En se réveillant, Thầy a ressenti un léger regret car il avait fait un si beau rêve. Thầy est resté allongé, suivant sa respiration et essayant de récapituler les petits détails du rêve. Thầy peut uniquement certifier que les paroles du Bouddha que vous avez lues ci-dessus correspondent à environ soixante-dix pour cent des détails. En fait, il semble que le Bouddha n’ait utilisé qu’un seul nom pour le « áo tràng » : « la robe de la falaise », « la robe du rocher » ou « la robe de la falaise ». Ce dont nous pouvons être sûrs, c’est que le nom de la robe ne comportait que deux mots, soit « rocher de la montagne » ou « montagne du rocher » ou « falaise de la montagne » ou « falaise du rocher ». Il ne pouvait s’agir de « la robe de la falaise du rocher de la montagne », car une épithète de trois mots est trop longue. Ce que je relate ici est en accord avec le sens et l’esprit des mots du Bouddha plutôt qu’une retranscription exacte de chaque mot.

Le petit Hải Triều Âm était un novice ; il portait la robe de novice grise, couleur de la fumée de l’encens, ou de la brume. C’est la couleur des rochers de la montagne du Pic des Vautours. Cette couleur grise n’est pas vraiment celle du bleu. C’est juste la couleur grise de la brume. Cette couleur correspond à la robe de novice et à la couleur de l’uniforme de l’Association de la Jeunesse Bouddhiste. Elle représente la pureté et la légèreté de la fumée d’encens, de la brume, et la puissance des forêts et des montagnes. La Montagne grise (Nui Lam) est la zone sacrée du Vietnam où le héros Lê Lợi, qui portait une simple robe en tissu, s’est préparé pour le retrait de l’armée Ming du Vietnam.

Dans une chanson à propos de Núi Lam, on peut entendre : « Le soleil se lève et la brume s’évapore dans les nuages de la montagne. » Le gris est donc aussi la couleur de la force. La robe marron que portent les moines et moniales au Vietnam depuis deux mille ans exprime également la vie saine et frugale des paysans vietnamiens. Ceux-ci aiment porter la couleur marron. Dans leur traditionnelle tunique marron clair, tous sont beaux ; tant les personnes âgées que les jeunes filles du village. La couleur marron calme et profonde est à la fois simple et imposante. Thầy avait souvent dit au petit Hải Triều Âm que ses disciples monastiques devraient essayer de préserver la couleur marron caractéristique de la tradition bouddhiste vietnamienne. Il ne doivent revêtir la Sanghati jaune que lors des cérémonies de récitation ou de transmission des préceptes. Le petit Hải Triều Âm s’en était souvenu et c’est ainsi que, dans son langage d’enfant, il avait évoqué la question avec le Bouddha durant l’ascension de la montagne. En vous écrivant, mes enfants bien-aimés, je me sens particulièrement heureux en évoquant l’image du Bouddha portant une robe brune. Le Bouddha voulait simplement nous accompagner en portant la robe marron. Thầy suggère de désormais désigner la robe áo tràng grise sous le terme « Robe de la montagne grise » et l’áo tràng marron « Robe du rocher de la montagne ».

Dans nos monastères de Deer Park et de Blue Cliff, il y a des rochers montagneux particulièrement escarpés que les moines et moniales aiment souvent escalader. Gravir une falaise est une expression très zen. Cela signifie que la falaise n’est pas facile à escalader mais que, une fois au sommet, le bonheur est au rendez-vous. Le chemin monastique lui aussi est difficile, mais il est très beau. Ce qui est merveilleux, c’est que nous escaladons la montagne avec le Bouddha. Le poète Nguyển Công Trứ voulait parfois tout laisser tomber et simplement gravir la montagne. Il parlait d’un pin poussant solidement sur la crête de la montagne, perché en toute indépendance des alentours. C’est l’image de l’authentique moine ou moniale. Voici ce qu’il a écrit :

« Dans la prochaine vie, au lieu d’être un humain,
Laissez-moi être un pin debout et bruissant sous le ciel,
A la place des falaises rocheuses escarpées
Celui qui peut supporter le froid peut s’amuser à grimper avec le pin ».

Bien que Thầy et ses disciples aiment grimper sur les rochers des montagnes, nous voulons néanmoins demeurer humains dans les prochaines vies. Le chant « Prendre refuge » dans le livre « Chants du cœur » en reprend les termes (page 218):

« Puissions-nous renaître en tant qu’humains dans notre prochaine vie, Rencontrer le Dharma très tot et mener une vie de pratiquant authentique. »

Grâce à la guidance d’un maître sage et soutenus par notre foi juste, nous mènerons une vie monastique ».

Thầy se réjouit chaque fois qu’il se rappelle que lui et ses disciples gravissent ensemble la colline du XXIe siècle. Nous gravissons maintenant cette colline depuis près de dix ans. En 2050, nous nous tiendrons sur le sommet et contemplerons le magnifique paysage qui ne sera pas moins splendide que la vue du Pic du Vautour. Juste avant la mort de Thầy Giác Thanh, le premier Abbé du Monastère de Deer Park, Thầy lui écrivit un Gatha, puis quelques versets parallèles :

« Une feuille d’automne tombe. Pourtant, vous continuez à gravir avec nous la colline du siècle.
Des milliers de jonquilles fleurissent. Le ciel et la terre continuent à chanter ensemble le chant de la non-naissance et de la non-mort ».

Ces deux lignes ont été gravées sur le Stupa commémoratif de Thầy Giác Thanh, sur une falaise rocheuse escarpée du Monastère de Deer Park, aux États-Unis.

La tradition zen compte un livre très célèbre exposant les koans zen. Il est intitulé Blue Cliff Records (Archives de Blue Cliff – Bích Nham Lục). ‘Bích’ signifie bleu et ‘Nham’ désigne une falaise. La montagne Yên Tử où le Grand Maître de la Forêt de Bambou (King Trần Nhân Tông) a pratiqué, enseigné et accompli le Chemin est lui aussi un lieu sacré, empli de brume grise. La couleur de nos robes provient d’une très longue tradition. Veillez donc à préserver ces deux couleurs, le gris et le marron, pour la couleur de vos robes.

Le Monastère de Prajna n’a pas de falaises abruptes. En tant qu’enseignant et disciples, nous avons très souvent escaladé la colline qui descend vers le ruisseau et cela nous a chaque fois procuré beaucoup de bonheur. Le chemin du monastère n’est pas une autoroute lisse mais une falaise à escalader. Et vous avez très bien gravi les falaises de la montagne. Le petit Hải Triều Âm a parfaitement escaladé la montagne avec le Seigneur Bouddha. Thầy a également bien grimpé. Nous sommes très heureux, même si nous rencontrons encore des difficultés. Tous mes enfants bien-aimés, que vous soyez monastiques ou laïcs, que vous soyez venus pratiquer au monastère de Prajna, au Temple Racine, au Monastère de Blue Cliff, au Monastère de Deer Park, Định Quán, Trúc Lâm, Diệu Trạm, etc. …, vous êtes tous mes petits Hải Triều Âm, et vous avez tous su conserver l’esprit de clarté et de pureté d’un jeune doté de l’aspiration profonde à servir tous les êtres. Même si vous êtes un pratiquant laïc, vous apprécierez peut-être de porter ces deux couleurs, le gris et le marron. La façon dont nous marchons, nous tenons debout, nous couchons et nous asseyons en pleine conscience, la façon dont nous pratiquons pour construire la fraternité et la sororité, voilà ce qui aide la société à reconnaître qui nous sommes.

Nous sommes la continuation du Bouddha et des Patriarches à savoir : le Grand Maître de la Forêt de Bambou, Linji, Liễu Quán, et Nhất Định. Nous cheminons comme une rivière tout en gravissant la colline du siècle avec beaucoup de bonheur.

Thầy séjourne actuellement à l’Institut Européen du Bouddhisme Appliqué. De nombreux jeunes Allemands viennent y pratiquer. Le 8 mai 2009, la Sangha de Mountain Rock Cliff (Falaise du Rocher de la Montagne) sera invitée par le Maire de la Ville de Cologne pour un accueil officiel. Les assistants de Thầy, les Frères Pháp Hy et Pháp Hữu, vous en diront plus sur ce que nous faisons ici au cœur de l’Europe ces jours-ci.

Reconnu comme véritable pratiquant,
Il a fait ce qui devait être fait.
Dès que le Stupa se trouve sur la crête de la montagne,
Le son des rires des enfants retentit.”

Thầy Nhất Hạnh


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Thich Nhat Hanh January 15, 2020

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