À l’occasion de la célébration de la journée de continuation de Sœur Chân Không (Sœur Vraie Vacuité), le 9 avril, nous partageons avec vous un petit aperçu de cette remarquable moniale, à travers les yeux de Thich Nhat Hanh, de Sœur Chân Duc et de Sœur Dinh Nghiem.
Thich Nhat Hanh à propos de Sœur Chân Không
Mes étudiants sont aussi mes professeurs. J’apprends tant de choses grâce à elle. Sœur Chân Không (dont le nom signifie ‘Vraie Vacuité’) compte parmi ceux qui m’en apprennent le plus. Permettez-moi de vous raconter une des plus importantes leçons qu’elle m’ait enseingnée. C’était en 1966, la guerre au Vietnam était devenue insupportable, et j’étais tellement absorbé par le travail visant à mettre fin à la guerre que j’avais du mal à manger. Un jour, alors qu’elle préparait un panier d’herbes fraîches et odorantes destinées à être servies avec des nouilles de riz, Soeur Chân Không me demanda : « Thây, pourriez-vous m’indiquer le nom de ces fines herbes? » En la regardant étaler les herbes avec tant de soin et beauté sur une grande assiette, je me suis éveillé. Malgré ce qui se passait au Vietnam, elle avait la capacité de maintenir son attention sur les herbes, et j’ai réalisé que je devais cesser de me focaliser uniquement sur la guerre pour arriver à m’intéresser aussi à de simples fines herbes. Nous avons passé dix bonnes minutes à discuter des herbes qui venaient du sud-Vietnam et de celles présentes dans les régions centrales ; et cet échange m’aida à détourner mon esprit de la guerre, me permettant de retrouver l’équilibre dont j’avais tant besoin. En 1968, alors que je séjournais dans le sud de la France, je m’appliquai à reconnaître les différentes herbes de Provence avec grande attention et intérêt.
Des années plus tard, un ami américain m’a demandé : « Thây, pourquoi passez-vous tant de temps à planter des laitues ? Ne serait-il pas mieux mis à profit si vous écriviez des poèmes ? Tout le monde est capable de faire pousser de la salade, mais peu de personnes peuvent écrire une si belle poésie. » J’ai souri et répondit : « Mon cher ami, si je ne plantais pas cette laitue, je ne serais pas capable d’écrire de poésie. » Je ne lui révélai pas que ma réponse m’avait été inspirée par la rencontre douze ans plus tôt avec Soeur Vraie Vacuité. Même aujourd’hui, quand je lis le manuscrit que m’a remis Soeur Chân Không, je continue à apprendre d’elle. Il est important que l’enseignant soit toujours en même temps un étudiant, et un élève doit toujours être, simultanément, un enseignant. Si nous gardons cela à l’esprit, nous bénéficions les uns des autres.
Sœur Chân Không a de grandes réserves de joie et de bonheur. C’est ce que j’apprécie le plus en elle. Sa foi inébranlable dans le Dharma se renforce chaque jour par le fait qu’elle récolte les fruits de la transformation et de la guérison issus de la pratique. Sa force, sa gaieté et son aptitude au bonheur sont de merveilleux réconforts pour beaucoup d’entre nous, au Village des Pruniers et dans le cercle de la grande sangha. Oeuvrer au changement social et aider les gens sont pour elle une source de joie. L’amour et l’intérêt qui sous-tendent son action sont profonds. Soeur Vraie Vacuité incarne aussi l’Amour Véritable. Son histoire est bien plus vaste que de simple mots. Sa vie entière est un Enseignement du Dharma. Elle est une véritable bodhisattva.
Extrait de la préface du livre de Soeur Chân Không « La Force de l’amour » (traduction française parue en 2008 chez Albin Michel)
Une lettre de Soeur Chân Duc (« Vraie Vertu »)
Chère Sư Cô (Sœur),
Il y a tant de choses pour lesquelles je tiens à vous remercier, en cette journée de continuation.
Je vous ai rencontrée pour la première fois en mars 1986, alors que je venais vous saluer à l’aéroport de Londres. J’ai senti une connexion avec vous avant même de vous avoir parlé. Précédemment, nous avions correspondu par lettre au sujet de Thây et de la venue de Sư Cô en Angleterre, afin de guider une retraite et offrir des conférences publiques. Votre correspondance a toujours été empreinte de réflexion et de gentillesse.
En Angleterre, vous m’aviez parlé un peu de la langue vietnamienne et du fait qu’il n’y avait ni ‘moi’ ni ‘vous’. Sư Cô était une « chi » (sœur aînée) et moi une « em » (sœur cadette). Vous avez chanté la chanson Mặt Trời Ý Thức (Le soleil de la conscience) alors que nous roulions dans la voiture et j’ai commencé à apprendre cette chanson.
À la fin du voyage, Thây m’a dit que je pourrais venir séjourner un mois au Village des Pruniers, en juillet, et vous avez appuyé cela. Après le mois de juillet, vous vous êtes dit que je pourrais prolonger mon séjour au Village. La responsabilité qui m’a été confiée était d’être la sœur aînée des jeunes hommes réfugiés séjournant au Hameau du Bas. Merci de m’avoir offert cette opportunité. Je n’étais pas une si bonne sœur aînée pour ces jeunes hommes mais vous m’avez malgré tout permis de rester. Quand vous nous rendiez visite au Hameau du Bas, vous apportiez de la nourriture occidentale pour moi : muesli, farine pour faire du pain, fromage.
En 1988, quand j’ai appris que vous alliez être ordonnée en Inde, je ne voulais pas être laissée de côté. Je voulais moi aussi être moniale. Vous m’avez soutenue et, sans hésitation, m’avez permis de m’agenouiller à vos côtés pour recevoir l’ordination. Sans votre soutien, je suis certaine que Thây ne m’aurait pas ordonnée et vous êtes depuis lors ma sœur aînée dans le Dharma. Je n’ai pas toujours été une bonne petite sœur. Il m’est arrivé d’être jalouse de votre position. Alors que je grandissais dans le Dharma, j’ai appris à lâcher prise et à mieux jouer mon rôle de petite sœur.
Tout au long de ces années, vous avez fait preuve d’une extrême gentillesse envers moi. Vous avez écouté attentivement mes difficultés, sans juger ni réagir. Chaque fois que je demandais à revenir au Village des Pruniers, vous marquiez toujours votre accord et me permettiez de rester à l’Ermitage avec vous.
Ce que j’admire le plus en vous, c’est « vô hành hành » (l’action de la non-action), votre « vô tu tu » (la pratique de la non-pratique). Cela provient peut-être de l’enseignement que vous a donné Thây pendant toutes ces années où vous l’avez aidé. Votre capacité à vivre profondément le moment présent et la qualité de votre cœur, ouvert et embrassant, m’impressionnent profondément. Vous parlez très ouvertement de vous-même et il n’y a pas d’ego là-dedans. Vous donnez votre point de vue quand on vous le demande. Votre capacité à vous détendre totalement et à vous endormir le temps de quelques minutes vous aide à maintenir votre énergie physique et mentale.
Notre voisine de l’Ermitage dit qu’il lui suffit de vous voir pour se sentir heureuse. Et comme ce n’est pas une pratiquante, j’imagine donc combien de personnes, parmi les milliers de pratiquants, doivent se sentir heureuses à la seule vue de votre sourire ou à l’écoute de vos chants… Vous m’avez appris à être heureuse, et pas uniquement parce que vous m’avez dit un jour que je devais sourire chaque demi-heure, mais par la façon dont vous parvenez à savourer le moment présent, et par votre capacité à transformer les moments difficiles par la pratique de la méditation sur la bonté aimante.
Chère Sư Cô, je vous souhaite une très longue vie, afin que vous puissiez continuer à être ce merveilleux refuge que vous incarnez pour tant de personnes.
Avec amour et respect,
Votre sœur cadette – Chân Đức.
La continuation de Soeur Chân Không, témoignage de Soeur Dinh Nghiem
La première fois que j’ai vu Sœur Chân Không, c’était en 1985. J’avais 15 ans et mes parents m’avaient amenée au Village des Pruniers pour l’ouverture d’été.
À l’époque, Soeur Chân Không avait encore les cheveux longs. Elle prenait tout en charge : la coordination du travail, les achats, le transport, les inscriptions, la cuisine, l’accueil… Et si quelqu’un arrivait soudainement à Ste-Foy La Grande, elle partait immédiatement le chercher, peu importe l’heure ou le jour de la semaine ! Je me souviens qu’il y avait des moustiques dans notre chambre et ma mère l’a questionnée à ce sujet. Et c’est ainsi qu’elle a même géré les moustiques dans notre chambre.
Chaque fois que Thây imprimait un nouveau livre ou une nouvelle édition du bulletin du Village des Pruniers sur sa propre presse, Sr. Chân Không envoyait une copie à tout le monde, en adressant quelques lignes à chaque personne. C’était incroyable. Ma famille a encore ces livres et continue à les chérir.
Je n’ai jamais vu Soeur Chân Không dire « non ». Tout au long de mes années de novice, nous avons vu le nombre de retraitants augmenter chaque année ; fatiguées, nous nous plaignions d’être dépassées. Mais Thây et Soeur Chân Không restaient toujours très heureux – plus les gens pouvaient pratiquer, plus ils étaient heureux. Ils ne se plaignaient jamais. Et aujourd’hui, âge et santé ne l’empêchent pas de continuer à répondre « oui » chaque fois que nous lui demandons de donner une consultation ou d’offrir une séance de ‘Toucher la Terre’.
Mais d’où vient toute son énergie ? Elle a un très grand coeur et beaucoup de compassion pour ceux qui souffrent. Elle a aussi la chance d’avoir connu Thây dès son plus jeune âge et d’en recevoir les conseils quotidiens. Tout au long de sa vie, elle a bénéficié de l’arrosage constant de ses meilleures graines. C’est ainsi qu’elle ne s’est jamais épuisée, qu’elle n’a jamais abandonné, et continuer à cheminer si longtemps sur cette voie.
La façon dont Soeur Chân Không transmet le Dharma est complètement différente de celle de Thây. Elle utilise le vietnamien d’une manière simple, réelle et directe pour que les gens se sentent tout de suite proches d’elle. Son vietnamien n’est pas aussi beau et raffiné que le langage de Thây, mais l’efficacité n’en est pas moindre. Elle a son propre public.
Je me souviens qu’en 2013, l’Université de Harvard a invité Thây et la sangha à une conférence. Soeur Chân Không participait à une table ronde avec plusieurs intervenants très éloquents et dont l’anglais était la langue maternelle. À la fin de la session, de nombreuses personnes sont venues questionner: « Qui est cette nonne ? Elle m’a touché le cœur ! » Ils ont été frappés par son chemin empli d’amour, de compassion et d’humanité.
Soeur Chân Khâng se montre toujours extrêmement sincère et authentique et il peut arriver que cette franchise blesse certaines personnes. Elle est de plus en plus comme notre grand-mère, de plus en plus douce, avec toujours plus de compassion. Sa présence est extrêmement apaisante et rassurante pour nous tous.
Si nous voulons continuer Soeur Chân Không, nous devons nous concentrer sur sa pratique de l’amour et de la compassion. Elle fait preuve d’une grande endurance : le désir constant et continu d’aider ceux qui souffrent.
Nous vous invitons à adresser un petit message à Sœur Chân Không pour arroser ses graines de bonheur en cette joyeuse occasion.
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