Le 11 octobre dernier était le jour du 95ème anniversaire de Thầy. Pour clôturer ce mois particulier, nous sommes heureux de vous offrir le récit de trois de nos frères et sœurs monastiques aînés qui témoignent de ce qu’ils ont appris auprès de Thầy et ce en quoi il a pu les inspirer.
Sommaire
- Marcher en Pleine Conscience – par Soeur Chân Đức
- “Mon chéri, que fais-tu ?” – par Frère Pháp Khâm
- Amour infini, patience infinie – par Sœur Giác Nghiêm
Marcher en Pleine Conscience – par Soeur Chân Đức
Sœur Chân Đức (à gauche sur la photo ci-dessus, également connue sous le nom de Sœur Annabel Laity) est la première femme d’Europe occidentale à avoir été ordonnée nonne par Thầy. Son ordination eut lieu en Inde, le 10 novembre 1988. Enseignante du Dharma aînée et particulièrement appréciée, elle voyage beaucoup, dirige des retraites de méditation et son style d’enseignement unique inspire de nombreuses personnes dans le monde entier.
« L’enseignement pour lequel je suis le plus redevable à Thầy est celui de la méditation marchée. Le premier jour où j’ai rencontré Thầy à l’aéroport de Londres, j’ai remarqué que Thầy marchait lentement et de manière détendue. Pendant la retraite qu’il a dirigée à cette occasion, Thầy m’a rappelé de marcher en pleine conscience ; mais ce n’est qu’en venant vivre au Village des Pruniers que je suis parvenue à percevoir l’essence de ce qu’est la marche en pleine conscience. J’observais la façon dont Thầy marchait, jusqu’à ce qu’un jour me vienne cette pensée : “Je peux le faire aussi”. Mais l’enseignement selon lequel “Chaque pas que vous faites peut apporter le bonheur” a mis beaucoup plus de temps à m’atteindre. »
« Il y a environ dix ans, alors que je marchais quelque part pour effectuer quelques préparatifs en vue de l’organisation de la retraite de l’EIAB en Allemagne, Thầy me croisa en descendant l’escalier et remarqua que je le montais sans être présente à mes pas. Arrivé à mon niveau, Thầy me dit : “Voici votre défi. Chaque pas peut apporter le bonheur”. »
« Thầy a souvent partagé qu’un des moyens d’accéder au bonheur consiste à faire chaque pas en pleine conscience. Si les gens peuvent faire cela, cela sauvera le monde. Pour moi, cet enseignement est le plus profond. Chaque pas, où que vous soyez et quoi que vous fassiez, peut apporter le bonheur. Même si vous êtes sur le chemin de la guillotine, chaque pas peut vous apporter le bonheur. C’est un défi. Pouvez-vous le relever ? Cela dépend de chacun de nous, car le bonheur ne vient pas de l’extérieur. Chaque jour, je relève ce défi, depuis mes premiers pas tôt le matin jusqu’à mes derniers pas le soir. Thầy ne peut plus marcher, mais nous pouvons marcher pour Thầy. »
“ Mon chéri, que fais-tu ? ” – par Frère Pháp Khâm
Frère Pháp Khâm a reçu l’ordination de novice en 1998, et la pleine ordination en 2000. Il a ensuite reçu la Lampe d’Enseignant du Dharma en 2004. Il est actuellement directeur de l’Institut Asiatique du Bouddhisme Appliqué (AIAB) à Hong Kong.
« Après plus de deux ans au Monastère de Deer Park, je suis retourné au Village des Pruniers en France en décembre 2002. En janvier 2003, le Village des Pruniers a organisé la grande cérémonie d’Ordination sur le thème ‘Je suis chez moi, je suis arrivé’. J’ai eu l’occasion de suivre Thầy et ses attendants alors qu’ils allaient rencontrer les frères et sœurs qui se préparaient à la Cérémonie. Thầy me questionna : “Mon enfant, penses-tu que nous nous sommes suffisamment bien organisés ?” N’étant pas spécialiste en ce domaine, je ne savais comment répondre. Alors Thầy a souri et commenta : “Si ce n’est pas encore assez bien, nous ferons mieux la prochaine fois !”. Thầy disait souvent que le rôle d’un enseignant est d’inspirer ses étudiants. Lorsqu’un étudiant a été inspiré, il peut créer de nombreux miracles. Thầy nous a souvent transmis son inspiration par de tels mots d’encouragement empreints de douceur.»
« Je me sens très nourri par les mots de Thầy : “Thầy croit que vous pouvez le faire”. Mais faire quoi ? La question que posait souvent Thầy : “Mon chéri, que fais-tu ?” a déjà déconcerté nombre de ses étudiants. En mai 2001, je faisais partie de l’équipe d’organisation de l’étape de la côte ouest pour la tournée américaine de Thầy. Il y avait beaucoup de choses à faire, j’étais donc très occupé. En me voyant envoyer un document par fax, Thầy m’a demandé ce que je faisais. J’ai répondu que j’envoyais un fax. Juste après avoir répondu, je me suis rendu compte que je n’avais pas appris la leçon. Quelqu’un m’avait déjà donné le conseil que lorsqu’on nous pose cette question, il suffit de revenir à notre respiration et de sourire. La question est comme une cloche de pleine conscience qui nous invite à revenir au moment présent. Il est évident que Thầy savait ce que son élève faisait. Mais Thầy souhaitait nous aider à ne pas nous laisser emporter par le travail au point d’oublier d’être en contact avec la vie au présent. Il suffit de s’arrêter quelques secondes et de respirer !
Certains frères et sœurs considéraient cette question comme un koan. S’ils répondaient correctement, c’est-à-dire en revenant simplement à la respiration et en souriant, alors c’était comme s’ils avaient résolu le koan et ils s’en sentaient particulièrement heureux. Mais s’ils ne répondaient pas correctement, comme ce fut mon cas, ils souhaitaient quand même que Thầy leur pose à nouveau la question afin de pouvoir respirer et sourire ; ils considéraient alors cela comme un sceau d’approbation de Thầy.»
« Un matin, alors que la Sangha de Deer Park se reposait et se préparait pour une retraite, Thầy et la Sangha décidèrent de pratiquer la marche méditative autour du Hameau de la Solidité. En passant devant le bureau d’inscription et sachant que j’étais à l’intérieur, Thầy a demandé à son assistant de frapper à la porte et de m’inviter à marcher avec la Sangha. J’ai dit que je ne pouvais pas les accompagner car je devais utiliser ce temps pour gérer quelques affaires professionnelles. Et une fois de plus, je ne saisissais pas la perche que me tendait Thầy ! Il est vrai qu’à ce moment-là j’étais emporté par le travail. Mais pourquoi continuer à passer à côté de la perche ? Ceux qui m’ont tendu la perche suivante étaient les frères. Pendant la période de paresse, certains frères sont allés pratiquer la marche méditative et sont passés devant le bureau. Ils m’ont vu à l’intérieur, m’ont fait signe et m’ont invité à marcher avec eux. J’ai souri, salué en retour, éteint l’ordinateur et suis sorti pour les rejoindre pour une promenade.»
Amour infini, patience infinie – par Sœur Giác Nghiêm
Sœur Giác Nghiêm (également connue sous le nom de Sœur Elizabeth), une moniale française, est une sœur aînée et très aimée du Village des Pruniers. Ordonnée moniale en 1997 au sein de la Communauté du Village des Pruniers, elle est actuellement l’Abbesse de la Maison de l’Inspir, un petit établissement monastique de la tradition du Village des Pruniers, situé près de Paris
« Quelle qualité de Thầy aimerais-je perpétuer ? Son amour inconditionnel et sa profonde compréhension, c’est ce que je veux continuer de Thầy. Et puis sa patience. Quelle patience, quel amour !»
« C’était la fin de la journée. J’avais accompagné deux sœurs pour aller s’occuper de Thầy, et j’étais là pour aider à nettoyer. Quand je suis arrivée, il faisait nuit dans la salle à manger de Thầy. Dans le coin le plus à gauche, il y avait un évier, une ampoule suspendue, juste comme ça. C’était extrêmement simple, d’une très grande sobriété. J’y voyais une telle ressemblance avec François d’Assise et Jésus qu’il était vraiment facile pour moi d’être là.»
« Je me suis approchée pour faire la vaisselle et je suis restée fascinée par un verre (comme ceux avec lesquels notre Maître boit son thé), et une cuillère trempant dans l’eau chaude et à laquelle adhérait du riz gluant. C’était on ne peut plus anodin mais cela m’attirait, comme si Thầy y avait imprégné son enseignement, avec une intention toute particulière pour Sœur Giac Nghiem. C’est ainsi que je le vois maintenant mais, à l’époque, je n’y pensais pas, j’étais juste fascinée. Pendant tout le temps où j’étais là, je n’ai rien fait, ni balayer, ni m’occuper de la vaisselle, j’ai juste contemplé l’enseignement de Thầy. Je me suis laissée imprégner par la contemplation, simplement en contact, sans aucune parole. A un moment donné, je me suis sentie gagnée par une compréhension de l’enseignement de Thầy. J’étais en contact direct avec l’amour de Thầy pour ses disciples, ses disciples dépourvus de sagesse, en souffrance, encore bien enrobés de riz glutineux. J’ai également vu sa patience, et son enseignement : “Attends simplement, fais comme l’eau chaude (l’amour ambiant) qui pénètre doucement ce qui est glutineux, jusqu’à ce que cela finisse par céder, et que le riz libère la cuillère”. J’en ai pleuré.
J’ai continué à regarder et, cette fois, je n’ai plus vu la cuillère, le riz, l’eau chaude, mais l’amour de Thầy, la façon dont son amour nous enveloppe chacune et chacun. Cet amour infini, ineffable, qui nous pénètre et nous aide à devenir plus souples, plus doux, et à nous défaire de tous nos attachements. Je pleurais et notre Maître est descendu ; il a posé sa main sur mon épaule et m’a dit : “Sœur Giac Nghiem, vous allez devenir Enseignante du Dharma.”
Je suis sûre que mon chemin est d’être cette eau chaude pour tous ceux qui m’entourent. J’étais profondément en contact avec la pratique à laquelle me destinait Thầy. C’est là mon véritable chemin. C’est le cadeau que m’a offert Thầy ce jour-là. L’amour infini, la patience infinie nous aident à accepter les autres tels qu’ils sont, tout en sachant qu’une seule chose peut les guérir : la compréhension et l’amour. Tout à est là. »
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