Entretien avec Adrien, gérant de la boutique au Hameau du Haut, Village des Pruniers
Pourquoi avoir une boutique au Village des Pruniers – alors qu’on est dans un centre de pratique de méditation ?
La boutique du Village des Pruniers n’est pas une « boutique souvenir », on ne vient pas pour acheter des souvenirs du Village des Pruniers, c’est un endroit où on propose des articles qui vont soutenir la pratique des retraitants. Lorsque de retour d’une retraite, nous reprenons notre vie de tous les jours, nous pouvons parfois noter une petit baisse de pratique après quelques semaines. La boutique est là pour proposer un catalogue de produits qui permet de soutenir les retraitants dans leur pratique quotidienne : les livres de Thay, les calligraphies, les dharma tools comme les coussins, les cloches… C’est ramener quelque chose du Village pour continuer le chemin.
Comment peut-on faire pour que ces produits-là soient en même temps dans l’éthique des entrainements du Village des Pruniers et de l’enseignement de Thay ?
Il y a deux courants que nous essayons dans la boutique de faire marcher ensemble.
D’une part, c’est proposer des produits éthiques et respectueux de l’environnement produits le plus localement possible. Par exemple pour le textile, les T-shirts et pulls à capuche en coton bio sont imprimés à Bordeaux et vendus ici, limitant ainsi au maximum le transport. Toutes les calligraphies sont imprimées au Village des Pruniers. Une gamme de coussins et tapis de méditation en coton bio sont cousus ici localement par la communauté autour du Village.
D’autre part, une autre gamme de produits vient soutenir le travail fait au Vietnam et dans des projets d’insertion sociale. Par exemple, des coussins ou des vestes inter-être sont faits au Vietnam par des artisans autour de Tu Hieu, le monastère racine. Des cloches dont on connaît la provenance viennent directement du Vietnam. Nous essayons d’avoir un lien avec les fournisseurs de façon à ce que chaque objet proposé ici soit un objet qui a vraiment une histoire et sert toute la grande communauté du Village des Pruniers. La majorité des livres étant imprimée aux Etats-Unis par Parallax, la maison d’édition du Village des Pruniers, nous ne passons qu’une à deux commandes par an afin d’éviter de multiplier les transports d’un continent à l’autre.
Bien sûr, c’est un magasin et nous faisons une marge, mais les bénéfices reviennent au Village des Pruniers et servent à répondre aux besoins financiers du Village. Ce qui est intéressant, c’est de voir comment on peut faire du business tout en essayant de garder le plus possible à l’esprit son impact. Avec les frères et les soeurs avec qui on conçoit les produits, nous sommes déjà dans une démarche d’essayer de réduire le catalogue, et aussi d’être le plus en accord avec les entrainements, l’éthique et le respect de la Terre. Ce n’est pas quelque chose de facile, c’est aussi quelque chose que nous remettons toujours en question, parce qu’on peut toujours faire mieux. C’est trouver cet équilibre entre comment générer du profit afin de pouvoir subvenir aux besoins du Village des Pruniers, et en même temps ne pas avoir un impact trop important sur la Terre.
Une réflexion qui se pose aussi, c’est le site internet, car il consomme de l’énergie, que ce soit pour maintenir le site ou envoyer des colis qui génèrent du transport, des déchets, avec une empreinte carbone plutôt élevée. Aujourd’hui, nous tendons vers la démarche de probablement cesser d’envoyer des produits ailleurs qu’en Europe, en privilégiant le fait que chaque continent pourrait développer son propre marché (notamment pour ne pas envoyer de France des produits aux Etats-Unis), avec peut-être juste un envoi annuel de produits ensuite distribués partout aux Etats-Unis.
C’est une question d’actualité : comment créer de l’activité au milieu de ce commerce mondial hyper-globalisé qui est dans une fuite en avant, sans détruire la Terre. C’est un travail que nous faisons ici à la boutique, ce sont des visions profondes à avoir et dès lors, des actions concrètes à prendre.
On est donc vraiment dans l’éthique et le bouddhisme engagé du Village.
Disons qu’on essaye d’adapter cela à quelque chose d’extrêmement concret. Et c’est beaucoup plus difficile qu’on ne le pense, car c’est facile de trouver une offre vaste de produits, mais c’est difficile de trouver le bon produit qui va permettre de suivre nos valeurs et ne pas tomber dans un espèce de green-washing, de marketing vert qui n’est pas du tout le but du Village, mais permettre d’intégrer cette interdépendance entre le produit qu’on va envoyer et l’environnement dans lequel on vit. Quand on envoie des T-shirts aux Etats-Unis, même si ce sont des T-shirts avec un magnifique message de paix, il y a en même temps une création de la souffrance, car ça va polluer. Donc c’est comment essayer de trouver l’équilibre par rapport à ça.
Tu parles d’une petite communauté laïque autour du Village qui aide à coudre les coussins vendus dans la boutique. Pourrais-tu nous en dire quelques mots ?
Le marché textile aujourd’hui est assez complexe et produit beaucoup en Asie – d’ailleurs, les tissus en coton bio sont faits dans des projets certes de commerces équitables, notamment au Bengladesh et au Pakistan, mais ce sont quand même des tissus qui voyagent. Autour du Village, il y a une petite communauté laïque de personnes venues s’installer pour être proches du Village et soutenir leur pratique quotidienne. Cette communauté a aussi besoin de vivre, d’avoir des revenus ; deux personnes soutiennent aujourd’hui l’activité du Village en produisant les coussins, les sacs et les tapis pour le Village. Bien sûr, rémunérer quelqu’un pour faire des coussins en France n’a pas le même coût qu’au Vietnam, mais c’est quelque chose que la boutique assume, à savoir proposer des produits de qualité qui sont un peu plus chers mais qui pour le coup ont un vrai impact et une vraie histoire.
Tu parles d’une collaboration avec le Vietnam dans le cadre du choix des produits ; comment cela se décide-t-il, avec quel projet allez-vous travailler au Vietnam par exemple ?
Au Monastère Tu Hieu à Hué au centre Vietnam, il y a une boutique aussi qui ressemble un peu à celle qui est ici, avec une équipe de soeurs qui sont en lien comme ici avec la communauté tout autour de la boutique. Et parmi cette communauté-là, il y a des tailleurs, des couturières. Traditionnellement, déjà depuis longtemps, les soeurs donnent du travail, font produire ces articles par la communauté alentour comme un moyen de se soutenir. Il y a un besoin, il est distribué dans la communauté, et cela permet à la communauté laïque autour de pouvoir vivre. Les personnes au Vietnam travaillent pendant trois à quatre mois, et ensuite, une fois par an, la commande voyage jusqu’ici. C’est un moyen de créer du lien avec le Vietnam. C’est un moyen aussi d’entretenir toute cette grande famille du Village des Pruniers.
Quant aux cloches, les frères et soeurs au Vietnam vont au marché sélectionner les cloches auprès de fournisseurs qu’ils.elles connaissent pour les proposer ensuite au Village. La boutique vend aussi des cloches plus traditionnelles qui viennent de Taïwan et Hong-Kong via des importateurs.
La démarche, c’est d’aller au plus près des fournisseurs, et surtout de ne pas se fermer, de ne pas dire « non on ne fait plus de commerce avec le monde entier, on veut juste rester sur du local », car ce n’est pas comme cela que ça marche, on a besoin d’échanges, dans le monde entier, le commerce s’est toujours ainsi fait. La problématique aujourd’hui est qu’il pollue, alors quels moyens habiles trouver pour continuer à faire cette activité sans avoir d’impact trop important.
Et c’est une question plus vaste qu’une boutique, c’est une question plus globale, mais à la lumière de la pleine conscience des enseignements du Village, nous essayons de trouver les moyens habiles pour répondre à cette problématique.
Qu’as-tu envie de dire aux personnes qui achètent ?
Aujourd’hui, acheter au Village des Pruniers, c’est un moyen direct de soutenir la communauté de façon concrète. Quand vous achetez un produit, un certain montant de l’argent ira directement à nourrir les monastiques, cela fait un peu cliché, mais c’est ce qui va permettre au Village des Pruniers mondial de tourner. C’est tout bénéfice pour tout le monde : par l’acte d’achat, d’une part on soutient, et d’autre part, on reçoit un outil de pratique venant soutenir sa propre pratique. Tels les livres de Thay qui couvre une immensité de sujets. C’est vraiment un échange, une collaboration entre soutenir le Village et soutenir la pratique. Mais je pense qu’en fait, c’est déjà le cas, les personnes qui achètent déjà au Village, et souvent on l’entend, souhaitent soutenir le Village des Pruniers. Par l’achat des calligraphies notamment, cela permet de soutenir le fonctionnement du Village ; les calligraphies ont un prix un peu élevé mais l’idée ce n’est pas de faire de l’argent, de rétribuer des actionnaires, mais bien de générer un peu d’argent pour pouvoir servir le Village et ses actions, tout en nourrissant la pratique.
C’est pareil pour les pruneaux. Quand on achète des pruneaux au Village des Pruniers, ce sont des pruneaux qui viennent vraiment du Village des Pruniers et qui servent entièrement à soutenir le Village ; en tout cas, c’est l’idée, c’est le projet.
Merci Adrien pour cet entretien qui nous apporte un précieux éclairage sur tout le travail tant éthique que pratique fait ici à la boutique en compagnie des frères et des soeurs.
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