Après avoir vécu une vie de femme mariée et exercé le métier de kinésithérapeute, Soeur Giac Nghiêm a pris ses voeux monastiques à l’âge de 56 ans. En 1997, elle a rejoint la communauté du Village des Pruniers. Elle est l’abbesse de la Maison de l’Inspir, petit établissement monastique situé près de Paris.
Extrait d’un entretien publié dans le magazine « Sources » n°50– Décembre 2020- Propos recueillis par Nathalie Calmé.
Comment la présence de Thich Nhat Hanh est-elle entrée dans votre vie ?
En 1985, je traversais un profond questionnement spirituel. Je suis proche de Jésus dans mon coeur, mais j’avais besoin d’un maître physique pour me guider dans la vie. J’ai donc commencé à chercher un maître spirituel. Un jour, un ami acupuncteur allait recevoir chez lui Thay, qui venait donner son premier enseignement en français à Lyon. Mon ami m’a invitée à venir le rencontrer et m’a donné à lire le livre de Thay : Marcher sur terre est un miracle…. Après avoir écouté pendant deux jours les enseignements de Thay, et vécu dans la pleine conscience, j’ai su qu’il était le maître que j’attendais. Il incarnait tout ce que je connaissais de merveilleux chez Saint François d’Assise…..J’avais quarante trois ans. C’était le début d’une grande aventure spirituelle qui a transformé ma vie.
Qu’est-ce que la rencontre avec Thich Nhat Hanh a changé dans votre vie?
Le plus grand changement a été l’incarnation de la spiritualité. Thay m’a appris à respirer, marcher, m’asseoir, manger, boire……en pleine conscience…. A ce moment-là, je travaillais dans un hôpital, dans le service de gériatrie. Au quotidien, je vivais avec des personnes qui souffraient…..J’ai alors demandé à Thay : « Je veux trouver un moyen de sortir de la peur. Je vis avec des personnes qui ont peur. Et je sais qu’au fond de moi, il y a des peurs dont je voudrais me libérer. » ……..
A quel moment avez-vous décidé de prendre vos voeux monastiques?
Petite fille, je rêvais d’être moniale. A l’intérieur de moi, deux personnes cohabitaient avec joie. Celle qui aspirait à une vie religieuse et celle qui désirait vivre dans le monde. A l’âge de neuf ands, après avoir entendu le chant des soeurs clarisses dans un couvent, j’avais dit à maman: « Je voudrais vivre comme elles et danser pour Dieu! ». Mais elle m’en a dissuadée.
Un jour, mon ex-mari a choisi de partir vivre avec une autre femme……. J’étais très triste et j’ai pensé à une seule chose : aller me guérir auprès de Thay. Mon aspiration religieuse, que j’avais maintenue entre ciel et terre avec tendresse, cette aspiration à Dieu, à la beauté et à la charité dans le sens du mot amour, m’a rattrapée. Ce n’est pas par détresse que j’ai fait ce choix, mais parce que j’ai pu enfin dire « oui » à cette partie de moi. C’était en 1997……..
Comment Thay transmettait-il son enseignement ? Quel maître est-il ?
Thay est un grand maître, mais avant tout un « ami de bien ». C’est un moine d’une extrême gentillesse et d’une grande douceur, d’une incarnation spirituelle immense et d’une très grande puissance. Une attention délicate envers ses disciples pénétrait son esprit et son coeur. Il était capable de percevoir ce dont nous avions besoin sur le plan spirituel. Il nous nourrissait, et continue à le faire…….Deux fois par semaine, Thay donnait des enseignements à notre sangha, et c’est à travers ces enseignements en groupe qu’il apportait la réponse à nos questions personnelles soulevées au cours d’un partage individuel ou d’une lettre……..Ses leçons de sagesse, il nous les transmettait aussi par sa simple présence lors d’un repas que nous partagions en silence. Lorsqu’il pleuvait, nous nous asseyions dans sa véranda et buvions le thé en écoutant tomber la pluie. Nous n’avions pas besoin de beaucoup d’échanges……
Pouvez-vous nous raconter une anecdote illustrant une leçon de sagesse que vous avez reçue de Thich Nhat Hanh ?
Un jour, j’étais en train de m’occuper du petit autel, dans sa salle-à-manger. j’avais entrepris d’enlever de la bougie collée sur le support du bougeoir. A ce moment-là, j’étais une jeune novice……J’ai commencé à m’appliquer avec une certaine force pour décoller les taches de bougie. Par deux fois, Thay est passé près de moi pour attirer mon attention, mais j’étais trop intéressée par ce que j’étais en train de faire. La troisième fois, il m’a dit : « Vous pouvez tout lâcher, Soeur Giac Nghiêm, je vais tremper le bougeoir dans de l’eau chaude, et en quelques secondes ce sera nettoyé! ». Par ces paroles, il me remettait dans une bonne direction. Il me disait : « Lâchez prise. Jusqu’à présent, vous avez utilisé une certaine force pour obtenir ce que vous voulez. mais cela peut se faire autrement….. ».
Depuis quelques années, Thich Nhat Hanh ne vit plus en France. Après son accident cérébral vasculaire, il a choisi de résider dans un temple au Vietnam où il avait vécu en tant que novice. Comment vous reliez-vous à votre maître désormais?
Thay est tout le temps là car il m’a tout appris………En 2014, peu de temps avant son AVC, avec les soeurs de la Maison de l’Inspir, nous étions allées le saluer dans son ermitage. Il nous a accueillies, offert du thé et nous a regardées les unes après les autres avec beaucoup d’intensité, puis il a dit : « Vous êtes mon héritage. » Thay n’a pas dit « Vous êtes mes héritières », mais « mon héritage« . Il nous disait : « Je me suis transmis en chacune de vous. Vous êtes ce que je laisse sur cette terre. » Nous sommes tous et toutes porteurs de Thay. Thay est à l’intérieur de nous sous sa forme dharmique de l’Enseignement à travers toutes nos souffrances, qui se sont transformées de façon merveilleuse en quelque chose de plus léger, beau et complet. Notre métamorphose est l’oeuvre du Dharma, transmis par Thay en nous, et elle continue………
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