L’action dans l’inaction

« Quand je suis assis dans ma chambre, occupé à déguster un thé, suis-je productif ou non ? ». Vô sự, l’inaction, est une activité nécessaire à notre époque. Mes frères ne peuvent pas me voir dans ma chambre et pourtant, quand j’en sors, ils savent ce que j’ai produit. Je suis frais, je suis souriant. Et cela a beaucoup de valeur. Notre produit est la vision profonde, la joie et la paix. Nous devons donc réorienter nos activités. »

Découvrez cet Enseignement du Dharma que Frère Pháp Dung (Frère Étreinte du Dharma) a offert en mai 2020 à de jeunes bâtisseurs de Sanghas lors de la Retraite en ligne des Ambassadeurs Wake Up.

Traduction française d’un Enseignement offert en anglais par Frère Phap Dung, paru le 3 novembre 2020 sur le site de la Communauté Wake Up. Originellement transcrit par Diane F. Wyzga et publié par Gijs (Jazz) Van den Broeck, sous le titre « Being busynessless« .

Les hommes d’affaires du Village des Pruniers au travail : Frère Pháp Dung (deuxième à droite) produisant du bonheur avec ses frères.

L’architecture de la Sangha

Pendant mes études d’architecture à Los Angeles, je souffrais beaucoup de cette ville pleine de béton et d’angles durs. Il y avait pourtant de nombreux espaces vides qui auraient pu être utilisés pour faire pousser des plantes. Mes amis et moi étions idéalistes et optimistes. Nous voulions apporter davantage de vert à la ville de Los Angeles et construire des gratte-ciel d’où émergerait la végétation, tels de grands pots de fleurs.

L’architecture est cependant un secteur difficile ; c’est une profession autocentrée. Les architectes sont souvent fiers de leurs réalisations individuelles, et il est difficile de survivre en ayant une mission sociale. Je vois des amis lutter parce qu’ils manquent de communauté. Si vous voulez concrétiser une telle aspiration, tout en fondant une famille, vous avez besoin d’une communauté pour vous soutenir. Vous avez besoin d’oncles et de tantes et de nombreux parents éloignés. En fait, vous avez besoin d’un village entier !

Les communautés présentent de nombreux avantages. En situation de confinement, de nombreux couples se voient contraints de rester ensemble vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Je ne pense pas que nous ayons été conçus pour passer chaque heure de la journée avec la même personne. Nous avons à la fois besoin de notre espace et d’interagir avec d’autres personnes. Ici, au Village des Pruniers, si j’ai une difficulté avec l’un de mes frères, j’ai cinquante autres frères avec qui je peux passer du temps. Après quelques jours de séparation, notre énergie peut changer, et je peux me sentir à nouveau capable de regarder ce frère différemment et l’accepter.

Je sais qu’il n’est pas facile de constituer une communauté, mais il est utile de fréquenter la Sangha. Cela m’a incontestablement été d’une grande aide quand je vivais encore à Los Angeles. J’ai passé quatre ans avec ma Sangha locale avant de devenir moine, et j’assistais à la méditation assise tous les jours avant le travail. Le vendredi soir, j’allais à la Sangha au lieu de faire la fête et de dépenser de l’argent. C’est précisément pour cette raison que la Sangha se réunissait le vendredi soir.

Poser des briques

Aujourd’hui, j’aimerais partager avec vous deux enseignements qui m’ont aidé. Comme j’ai vécu dans un environnement individualiste et compétitif, ces enseignements m’ont aidé à développer consciemment un esprit de coopération. Il s’agit des enseignements “absence d’agitation” et “absence de position”.

Je me souviens que, quand j’étais novice, les moines devaient quitter leurs chambres durant la retraite d’été et loger sous tente afin de céder leurs chambres à nos amis retraitants laïcs. Nous campions autour de la cabane de Thây, en utilisant des briques pour construire des plateformes pour nos tentes. Tout le monde était à l’affût des briques. Si vous en trouviez une, vous vous en saisissiez avant que quelqu’un d’autre ne puisse l’emporter.

Je me souviens d’un jour où j’essayais de monter ma tente et j’avais du mal à planter les piquets dans le sol. Tandis que je les enfonçais d’un côté, ceux de l’autre côté en ressortaient. Un de mes frères m’a vu lutter et est venu m’aider. Je l’ai involontairement repoussé avec le coude insistant sur le fait que je pouvais le faire tout seul. Mais, juste après, je me suis frappé le doigt avec le marteau. Je n’oublierai jamais ce moment, debout, les doigts en sang.

Ce moment fut une véritable cloche de pleine conscience pour moi. C’est alors que j’ai réalisé que mon vieil orgueil d’architecte se manifestait. Je ne voulais pas accepter d’aide, car je me serais senti trop gêné d’admettre que je ne pouvais pas le faire seul. À cette époque, je vivais au Village des Pruniers depuis environ un an et j’étais déjà conscient de mes difficultés avec les autres. Mais c’est ce jour-là que j’ai vraiment pris conscience de ma fierté et de la façon dont elle était associée à mon éducation. J’ai vu mes énergies d’habitude et j’ai alors commencé à faire preuve de plus de prudence à l’égard d’autres habitudes subtiles et cachées.

Le business du « non busyness » ou comment s’employer à ne pas être occupé

L’enseignement que je veux partager avec vous vient de Maître Linji. Il s’agit de l’enseignement du « no busyness » (vô sự en vietnamien) ou, comme Thây le traduit, « busyness-less » (le business du non-affairement). C’est un enseignement majeur pour les ambassadeurs du mouvement Wake Up tels que vous. Nous voulons tous faire le bien en bâtissant une Sangha ou en étant un bon maître de cloche, un facilitateur ou un organisateur. C’est l’activité du Bouddha (phật sự en vietnamien) ou, comme le dirait Thây, l’entreprise du Bouddha. Mais il convient d’être prudent dans cette démarche, car l’habitude d’être occupé est particulièrement forte dans notre société. En dehors du monastère, les gens louent et récompensent vos réussites par des augmentations de salaire ou en épinglant votre photo sur le mur des employés du mois. Nous ne nous rendons pas compte de la nocivité de cette attitude, qui consiste à considérer notre succès comme une réussite distincte, et qui nous pousse ainsi à en vouloir toujours davantage. Au monastère, cependant, c’est tout le contraire. Nous nous entraînons à être en contact avec nous-mêmes et avec notre lien aux autres.

Vô sự signifie aussi ‘arrêter‘. Ne pas être occupé, c’est s’arrêter. Notre culture est tellement occupée que nous n’avons pas le temps de nous regarder et de regarder ce qui se passe réellement. La pandémie actuelle est un défi pour les gens, car nous devons arrêter notre activité. À un moment donné, nous ne pouvions même pas sortir, ce qui nous empêchait de nous distraire et nous obligeait à nous regarder. C’est comme une démangeaison qui ne peut être grattée ; cela peut être accablant. De nombreuses personnes m’ont récemment fait part des difficultés qu’elles avaient à se sentir non-productives. Nous avons l’habitude de produire des choses et à chercher la reconnaissance pour cela.

C’est l’une des causes de la situation dans laquelle se trouve actuellement notre planète en termes de climat, mais aussi de bonheur, de dépression et d’injustice : notre incapacité à nous arrêter et à nous regarder, notre désir acharné de produire et de nous distraire. Un faible pourcentage de personnes consomme une grande partie de nos ressources naturelles, en essayant de combler un sentiment intérieur de manque et de mécontentement. Mais nous avons maintenant l’occasion de nous arrêter et de regarder. Au lieu d’être productifs, nous pouvons prendre soin de nous et nous comprendre. C’est spirituellement productif. Cela peut nous aider à être plus heureux, plus épanouis et plus paisibles. Avoir une personne mécontente de moins sur la planète est à la fois utile et salutaire.

Quand je suis assis dans ma chambre, occupé à déguster un thé, suis-je productif ou non ? Vô sự – l’inoccupation – est une inoccupation nécessaire à notre époque. Mes frères ne me voient pas dans ma chambre mais, quand j’en sors, ils sont conscients de ce que j’ai produit. Je suis frais, je suis souriant. Et c’est très précieux. Notre produit est la vision profonde, la compréhension, la joie et la paix. Nous devons donc réorienter notre activité. Lorsque les choses reviennent à la normale, évitons de revenir à la ‘grande normale’ – la normale productive. Revenons à une normalité plus légère, avec un impact moins nocif pour nous-mêmes et pour la planète – une normalité où nous sommes à même de nous occuper de l’activité « douce », de l’activité « du cœur ». Une activité où nous pouvons prendre soin de nous-mêmes et des autres dans le cadre de l’activité du Bouddha de la non-activité. 

Se former à la paresse
S’appliquer à ne pas s’occuper est en soi une véritable formation. Et c’est précisément pour cette raison que nous avons la ‘journée de paresse’ au Village des Pruniers. Quand je suis arrivé au Village, cette journée de paresse représentait une grosse difficulté pour moi. Le simple mot ‘paresse’ générait en moi un sentiment de culpabilité. Un jour, après avoir entendu de nombreuses personnes exprimer leur malaise par rapport à ce terme, nous avons demandé à Thây de modifier cette appellation et de plutôt parler de ‘journée de repos’. Mais Thây a bien insisté pour ne pas modifier ce terme, précisément parce que notre aversion pour le mot ‘paresse’ avait permis de toucher une corde sensible dans la culture collective qui repose sur le besoin d’être toujours occupés et de se sentir coupable de ne pas l’être.

Je me souviens aussi de ma formation spéciale “hamac”. L’instruction était de m’étendre dans le hamac et de ne rien faire du tout, pas même savourer une tasse de thé ni méditer. Je n’étais pas non plus supposé y faire la sieste ni même envisager de me reposer. C’était vraiment difficile pour moi. J’avais envie de lire un livre ou me couper les ongles ; je sentais à quel point j’avais toujours besoin de faire quelque chose pour être productif. Et c’était pareil durant mes méditations. J’essayais toujours d’atteindre quelque chose. Il était inconcevable pour moi de simplement m’étendre dans un hamac. Cette méditation du hamac s’est révélée être le parfait remède pour moi. Ce n’est pas très Zen, c’est juste très ‘paresse’.  [Rires…] 

Ce que j’aimais par dessus tout avec le hamac, c’était le balancement; cela me donnait l’impression d’être un enfant. Les enfants adorent la balançoire mais, nous, adultes, nous avons perdu cet ‘âme du balancement’ qui consiste simplement à se balancer sans aucun but.

Le moment présent
Une autre signification du terme vietnamien ‘Vô sự’, c’est ‘être libre‘. Etre libre, cela signifie être dans le moment présent. Nous ne pensons pas au futur et nous ne sommes pas submergés par le passé. Cela ne signifie pas que nous ne pouvons pas penser au passé ni au futur; nous pouvons bien sûr regarder de l’avant et faire des projets. Nous pouvons aussi revisiter notre passé et en tirer les enseignements afin de nous en nourrir. Il y a un temps pour penser; et le meilleur moment pour cela est lorsque l’esprit est clair, quand nous sommes en paix et que nous prenons soin de nous-mêmes. Et cela nécessite d’être parfaitement établis dans le moment présent. Les exercices de respiration consciente constituent une importante formation en la matière. Quand les émotions fortes surgissent, nous devons développer la forte habitude de revenir à notre souffle et embrasser ces sensations.

Nous pensons bien souvent que la liberté est une réaction contre quelqu’un ou quelque chose. Et nous voulons nous en libérer. Dans notre cas, nous voulons nous libérer de notre quête vers le futur et de notre poids du passé. Loin d’être une déclaration contre quelque chose, la liberté signifie être pleinement présent.

Comment cesser d’être pris au piège
Une autre signification du terme Vô sự est ‘se libérer de la saisie’. C’est une chose à laquelle il est essentiel d’être attentif quand nous bâtissons une Sangha. Si vous voulez réussir, vous perdrez votre paix. Au Monastère, nous nous entraînons beaucoup à cela… Quand nous abordons le sujet de l’architecture du Village des Pruniers, ou quand nous faisons des projets d’aménagement, ma tendance est de directement venir avec quantité d’idées plus géniales les unes que les autres. C’est ce que nous appelons la ‘saisie’. J’ai donc pris l’habitude de faire un petit jeu avec l’un de nos frères. Dès qu’il me voit bondir pour intervenir, il place un doigt en bouche, pour imiter un hameçon. S’il capte mon attention avant que je partage, alors je dois rester muet durant toute la réunion. C’est un véritable entraînement. Hors du Monastère, quand vous avez une bonne idée, vous avez généralement envie d’être entendu ; ici, ça ne compte pas vraiment ! Ce qui importe c’est de nous entraîner à ne pas saisir, et c’est cela la liberté.

Si vous avez la chance de séjourner suffisamment de temps au Village des Pruniers, vous pourrez constater combien vos idées sont impermanentes. Une bonne idée n’existe qu’en un moment spécifique. Quelques mois plus tard, une autre idée vous viendra. Les choses changent. Au Hameau du Haut, un excellent moyen de s’y entraîner est de prendre la responsabilité du jardin. En démarrant votre fonction, vous serez empli d’idées concernant le jardin. Vous allez devenir très protecteur, voyant chaque plante comme votre propriété personnelle. Puis, si quelqu’un d’autre entreprend d’élaguer un arbre, vous allez sentir la colère monter et vous partirez en quête du responsable de cet acte… Puis, si vous changez de responsabilité l’année suivante, vous serez libres de tout cela. Et vous vous demanderez comment vous avez bien pu vous laisser piéger de la sorte. Peu importe la manière dont le jardin est entretenu et géré, chacun a sa façon de faire. Et toutes sont bonnes. Vous pouvez être heureux, quelque soit la méthode, vous vous sentez libre.

Une autre façon de s’y entraîner est d’être le ‘shopper’ (la personne responsable des achats pour la cuisine). Chaque membre du monastère a sa propre opinion sur les aliments qu’il convient d’acheter. Et il en va de même pour le responsable des voitures, ou le coordinateur du travail ; toutes ces responsabilités offrent elles aussi un excellent entraînement à la non-saisie. L’entraînement ne consiste pas à essayer d’obtenir un quelconque succès dans ce que nous entreprenons mais plutôt à essayer de ne pas s’y accrocher. Si vous vous entraînez de la sorte, alors vous serez beaucoup plus heureux et en paix dans votre travail. Bien sûr, je ne cherche pas à sous-entendre que nous ne devrions pas travailler ni planifier mais nous devons lâcher nos idées et notre identification à elles.

Vô sự, l’occupation de la non-occupation (busynessless), consiste à ne pas nous perdre dans quelque chose. Si vous travaillez dur au Village et que la Communauté ne vous voit jamais participer au programme, alors vous ne faites pas du bon travail. Vous devez être présent, parmi la Communauté. Il est assez facile de voir quand quelqu’un est perdu dans ses projets, tout comme quand nous-mêmes sommes perdus dans notre propre projet. Même si vous faites du bon boulot et que vous en recevez des éloges, ne vous perdez pas vous-même ! Sans la bodhicitta, l’esprit de la vision profonde, vous vous illusionnez vous-même. Vous risquez de vous déconnecter et si quelqu’un émet une idée vous allez la bloquer. Avoir des aspiration est une bonne chose mais ne nous laissons pas entraîner !

Voilà en résumé quelques-unes des difficultés auxquelles j’ai été confronté au cours de mon entraînement à me ‘dés-onioner’. Il m’a fallu ôter toutes ces pelures d’onion. Pour moi, elles sentaient bon alors que, en réalité, elles faisaient pleurer les autres. C’est un processus lent et je suis certain d’avoir encore de nombreuses autres couches, responsables de bien des souffrances.

L’homme de nulle part
Si vous voulez vous informer davantage sur Maître Linji, je vous invite à lire le livre de Thây : Zen Battles (Batailles zen). Ses enseignements sont une véritable médecine pour notre génération qui compte de si nombreuses personnes extrêmement performantes. Dans l’introduction, Thây désigne l’enseignement de Maître Linji avec l’adjectif ‘laxatif’. En général, quand vous lisez un livre, vous voulez surtout apprendre quelque chose de neuf. Alors que l’enseignement de Linji ne vous apportera rien ; au contraire, il vous ôtera tout ! Linji est né pour ôter le bouddhisme de la tête des gens. À son époque, en effet, de nombreux moines étudiaient le bouddhisme mais étaient complètement déconnectés de la pratique et du monde autour d’eux.

Maître Linji propose encore un autre enseignement concernant « vô sự ». Le terme vietnamien « vô vi » désigne les notions telles que “aucune position” ou “aucune identité”, invitant à ne pas se fabriquer une position, à ne pas nous dépasser ou aller au-delà de nos limites au prétexte que nous sommes ‘Ambassadeur Wake Up’ ou ‘Membre de l’Ordre de l’Inter-Etre’. Chaque personne est unique et, si nous exigeons trop de nous-mêmes, notre identité devient alors un fardeau. Or, dès que nous parvenons à nous libérer, nous devenons naturellement celle ou celui que nous sommes. Pour illustrer cela, Thây a peint la calligraphie : « Sois belle, sois toi-même ». Quand nous sommes libres et cessons de nous identifier à quoi que ce soit, nous devenons naturellement de belles personnes. Et il ne s’agit pas de cette beauté que nous fabriquons ou accumuler d’une certaine façon. C’est quelque chose qui vient dès que nous lâchons.

Le Bouddhisme est la pratique du lâcher prise, consistant à ne pas chercher à atteindre davantage. C’est tout l’inverse de ce à quoi nous entraîne la société. Le Bouddhisme nous enseigne que l’assise en silence peut être bien plus puissante que faire quelque chose. Peut-être les Beatles avaient-ils lu Linji quand ils ont composé leur chanson « Nowhere Man » (L’Homme de Nulle Part)

Nowhere man please listen
You don’t know what you’re missing

He’s a real nowhere man
Sitting in his nowhere land
Making all his nowhere plans for nobody

Oh toi, Homme de nulle part, écoute
Tu ne sais pas ce que tu perds

C’est un véritable Homme de nulle part
Assis en son Pays de nulle part

Vous devez être particulièrement attentif aux idées que vous avez à propos de vous-même. Une personne qui n’a aucune position peut être complètement libre de toute notion à son propre sujet. Quand les autres voient que vous participez à la construction de la Sangha, elles vont avoir tendance à vous coller des étiquettes. Elles vont peut-être vous considérer comme quelqu’un de super doué en technologie. Cette étiquette va vous coller à la peau, et vous allez voir quantité de personnes venir vous soumettre leur problèmes informatiques. Cela pourrait devenir une source de souffrance, car vous sentirez que vous avez atteint une certaine position et que votre attitude et vos comportements doivent s’y conformer.

Cet enseignement va à l’encontre de la tendance sociétale. Dans la société, vous êtes fiché, vous avez un diplôme, des certificats, vous êtes membre de tel groupe ou telle association. Nous devons être très prudents pour ne pas tomber dans la croyance que nous sommes ces choses. Nous sommes bien plus que ces désignations conventionnelles. Elles peuvent nous isoler. Elles nous poussent à nous enfermer dans de petites boîtes et à nous empêcher de toucher à la véritable beauté et au bonheur véritable. « Vô vi » désigne la disparition des boîtes.

C’est l’enseignement de Maître Linji. Il utilisait des termes plutôt durs et traitait parfois ses moines de tous les noms. Il pouvait par exemple dire : « Toi, espèce de sac brun de ‘tu sais quoi’, assis là avec ton crâne chauve, tu es le Bouddha ! ». Certains textes le décrivent comme très méchant, mais Thây le présente d’une manière plus compatissante.

Si Linji était encore en vie aujourd’hui, il nous dirait d’arrêter de construire notre moi virtuel et de ne plus prêter attention à ces « likes » et ces « clics ». Il nous dirait de nous déconnecter, car nous sommes bien plus que notre écran. Peu importe le nombre de personnes qui aiment votre site web. Pourquoi avez-vous besoin de poster toutes ces photos de vous ? Nous faisons tellement d’efforts pour être beaux. Ma belle-sœur a une application qui filtre automatiquement toutes les petites impuretés du visage de quelqu’un. Elle a pris une photo de moi, et j’ai eu l’impression de ressembler à un jouet. Nous pouvons difficilement prendre soin de nous-mêmes puisque nous sommes trop occupés à prendre soin de notre moi virtuel. [Rires]

Maître Linji traduisait l’enseignement bouddhiste du non-soi. Je pense qu’il est toujours d’actualité. Nous sommes tellement occupés ; nous voulons toujours réussir. La chose la plus branchée de nos jours est de créer une startup, puis la vendre et devenir millionnaire. Chaque fois que nos frères et sœurs reviennent de la Baie de San Francisco, ils reviennent toujours avec de nouvelles initiatives et de nouvelles idées de projets.

Photo par Raphael Brouard

Retour à la « normale »
Et maintenant, nous vivons tous cette pandémie. Elle implique beaucoup de souffrance. De nombreuses personnes perdent des êtres chers. Les hommes politiques essaient de trouver un moyen de ramener les choses à la normale. Je pense que c’est une merveilleuse occasion pour nous de réfléchir à la manière dont nous voulons organiser la société. Nous sommes de plus en plus déconnectés, nous avons moins de loisirs et moins de temps les uns pour les autres. Quand j’étais enfant, aux États-Unis, je pouvais faire du vélo aussi loin que je le voulais. Aujourd’hui, ma nièce et mon neveu ne peuvent pas faire ça. Dès qu’ils disparaissent de la circulation, leurs parents partent à leur recherche.

Nous sommes devenus technologiquement supérieurs, mais nous avons perdu le contact avec les aspects humains et environnementaux de la vie. La pandémie nous montre que nous ne pouvons pas toucher au monde naturel sans en subir les conséquences. J’espère et je prie pour que les gens se réveillent. Nous, les humains, sommes devenus trop dominants dans le monde. Notre impact est trop important.

En tant que bâtisseurs de Sangha, nous faisons partie du mouvement initié par Thây. Nous ne sommes peut-être pas confrontés à une guerre, mais une révolution est en cours. C’est une révolution pour votre liberté et votre bonheur. Contrairement à ce qu’a dû faire Thây, nous n’aurons sans doute pas à reconstruire de villages détruits par les bombes, mais nous devons construire un village où règnent un réel bonheur et une vraie liberté. Nous devons approfondir notre connexion. C’est ce que représente pour moi le mouvement Wake Up. Nous ne sommes peut-être pas tous capables de vivre en communauté, mais nous devons faire de la place pour tout le monde. N’hésitez pas à visiter nos centres de pratique et à rejoindre une Sangha.

Ôtez ces chaînes de votre cœur

De nombreux jeunes viennent au Village des Pruniers pour vivre ici, et travailler à la ‘Happy Farm’ (la Ferme joyeuse). Un tel engagement n’est pas facile à prendre. Cela peut faire peur. Vous devez vous défaire de votre idée de ce qu’est la sécurité. Vous ne savez pas ce qui se passera quand vous partirez. Où allez-vous vivre ? Qu’en est-il de vos économies, de votre plan de retraite, de votre assurance maladie ? Ces craintes empêchent les gens de faire ce qui leur tient à cœur. La société a mis en place ce filet de fausse sécurité autour de nous, et cela nous coince et nous retient. Mais quel est le but de la vie si ce n’est de suivre son cœur ? Méfiez-vous des conventions de la société. Elles pourraient vous empêcher de réaliser votre aspiration à servir les gens et à transformer la société.

Si vous parvenez à vous connecter au désir de votre cœur à rendre le monde meilleur, alors vous pourrez vous épanouir. Vous serez plus heureux et plus énergique. Regardez-moi. Je suis un moine. Si je démissionne, je suis fichu. Je n’ai pas d’assurance ; je n’ai pas de couverture médicale ni de plan de retraite. Mais j’ai confiance que, où que j’aille, si je sers les gens, l’univers subviendra à mes besoins. D’un côté, vous devez vous comprendre vous-même et vous transformer. De l’autre, vous devez vous débarrasser de toutes les conventions et positions de la société. Supprimez tout ce qui vous occupe, les étiquettes que vous vous êtes attribuées et que votre entourage vous a collées. Une fois que vous évitez ces pièges, vous vous accordez sur une longueur d’onde supérieure.

La clé, c’est la communauté

J’espère que mes propos ne vous bousculent pas trop et que vous en aurez retiré quelque chose. C’est avec mon cœur que j’ai partagé avec vous mon expérience personnelle, celle d’avoir grandi en voulant réussir. J’ai appris à réaliser des choses à l’intérieur de moi. Et maintenant, mon occupation est d’aider les autres à faire de même. Je ne pense pas que notre but soit de maintenir l’économie en marche. En Amérique, ils disent toujours : « C’est l’économie, idiot ! » Mais l’économie n’est pas une bonne chose. Ne revenez pas à la normale. Revenez à être belles et beaux et à être vous-même. Ensemble, nous pouvons être libres.

Et la clé pour y parvenir c’est la communauté. Vous ne pouvez pas le faire tout seul. Si je pouvais tous vous faire venir au Village des Pruniers, j’essaierais de vous convaincre de rester ici et de lâcher vos comptes en banque. Je ne suis pas sûr de ce que vos parents penseraient. [Rires] Il est difficile de construire une communauté dans un environnement urbain. Et pourtant, mon rêve est d’en créer là aussi, pas seulement dans la Terre Pure du Village des Pruniers, mais aussi au milieu du béton et de l’asphalte. Et pour cela, je me tourne vers vous, ambassadeurs du mouvement Wake Up. J’espère que nous pourrons créer des espaces au cœur de la ville, où vous n’aurez pas besoin d’acheter quoi que ce soit, mais où vous pourrez simplement être vous-même. Je les appelle les « Wake Up Hubs » (les réseaux Wake Up).

Alors faites en sorte que l’énergie de Wake Up reste vivante. Ce fut un plaisir de communiquer avec vous. J’espère que je n’ai offensé personne. Quand je parle avec les membres de Wake Up, je me sens d’une certaine manière plus détendu et je m’autorise à blaguer. Je me sens très proche de vous tous, car vous avez cette énergie de transformation du monde. Merci de vous être joints à nous et bonne chance.

Frère Phap Dung

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What is Mindfulness

Thich Nhat Hanh January 15, 2020

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