« Je rase complètement mes cheveux aujourd’hui,
Je promets de transformer toutes mes afflictions
Et d’apporter le bonheur à tous les êtres. »
Ce vœu herculéen a été fait par quinze novices lors de la cérémonie d’ordination d’octobre 2019. Nos frères et sœurs aînés, Frère Pháp Ứng et Sœur Chân Đức, ont représenté notre Maître et la Sangha pour la cérémonie. Ils ont coupé une petite mèche de cheveux sur la tête de chaque novice comme un geste symbolique pendant qu’ils prononçaient ce grand vœu. Le vœu monastique est un engagement à vivre une vie de célibat et à rejoindre une communauté ancienne dont la lignée remonte à plus de 2 500 ans.
C’est un vœu impossible, sans limite, qui n’est pas censé se réaliser complètement, mais qui sert d’étoile polaire, qui guide l’intention de notre cœur de vivre dans le monde autrement. Nous apprenons à transformer la vie individuelle en vie communautaire, en nourrissant notre conscience que nous, nos ancêtres, tous les êtres et le cosmos entier sont interconnectés. A partir de cette prise de conscience, nous consacrons notre vie à servir les autres et à nous transformer pour tous les êtres. C’est un beau vœu qui, s’il est rappelé régulièrement, peut être une source de grande force, de détermination et de responsabilisation. C’est comparable au « OUI » d’une cérémonie de mariage ; cependant, les monastiques s’engagent non pas à se marier, mais à se défaire des vieilles habitudes et à en développer de plus saines, propices à la paix, au bonheur et à la liberté véritables.
Le respect est la nature de notre rébellion.
En regardant ces jeunes, hommes et femmes, se prosterner au centre de la salle et recevoir leurs dix préceptes de novices, j’ai pris conscience des différents mouvements qui se sont développés à travers le monde pour le bien de la Terre Mère – le mouvement Rébellion Extinction, le YouthStrike4Climate inspiré par Greta Thunberg, et bien d’autres mouvements pour le climat, la justice écologique et sociale. Cette pensée était encore fraîche, probablement parce qu’en septembre une petite délégation du Village des Pruniers s’est rendue à Bordeaux pour soutenir les milliers d’élèves français qui ont quitté l’école pour participer à la grève mondiale du climat, demandant aux gouvernements, aux entreprises et aux individus d’agir, de changer les politiques et de faire face à la crise écologique.
Je me suis demandé pourquoi ces jeunes novices ont choisi de se joindre à notre communauté. Fuyaient-ils les souffrances du monde, la responsabilité et les actions nécessaires pour aider à rétablir l’équilibre de notre climat et à réparer les dommages que nous avons infligés à l’écosystème ? Qu’est-ce que le fait qu’ils aient reçu ces vœux et choisi d’être moine ou moniale a à voir avec les événements mondiaux et notre précieuse planète ?
Une phrase d’une des calligraphies de Thầy m’est venue à l’esprit en pensant au sens et à la signification de cette journée : « Le respect est la nature de mon amour. » Cet enseignement m’a inculqué la confiance et la certitude que leur choix – et mon choix de rester moine – est la chose la plus puissante et la plus rebelle que nous puissions faire maintenant pour le monde et la planète.
Beaucoup de membres de notre famille et de nos amis sont choqués quand nous partageons notre décision d’embrasser la vie monastique. Devenir moine ou nonne est un choix radical pour se rebeller contre un mode de vie qui a causé beaucoup de souffrances à nous-mêmes, à nos proches et au monde. Nous avons grandi dans une société individualiste et matérialiste sans place pour les merveilles sacrées et simples de la vie, sans place pour nos proches, nos voisins et notre communauté. Nous sommes trop occupés, parfois noyés dans notre propre douleur, trop affligés pour prêter attention aux autres et aux merveilles de la nature. La mentalité du « moi d’abord », notre ambition et notre instinct de compétition ont écrit l’histoire du siècle dernier, qui a amené l’humanité et la planète à notre dilemme actuel. Nous nous occupons de nos propres affaires et gardons nos préoccupations à l’intérieur de nos clôtures, de nos frontières. Pourtant, à partir de ce jour béni, avec moins de cheveux sur la tête, ces jeunes choisissent de faire plus de place pour vivre et être, plus de place pour le respect d’eux-mêmes, de leurs proches, de la nature. Guidés par l’intuition de l’inter-être, leur choix de vénérer la vie, l’univers et toutes ses petites créatures et merveilles est devenu le but de leur nouvelle carrière. La révérence est devenue le but de leur rébellion, de leur renoncement.
Ce que nous pouvons contribuer aux actions climatiques dans le monde entier, c’est notre respect, notre amour et notre respect les uns pour les autres et pour tout ce qui compose cette planète – tous les animaux, plantes et minéraux, nuages, montagnes et rivières. Et nous commençons par l’amour et le respect de nous-mêmes parce que nous faisons aussi partie de l’écosystème. La transformation de soi est inextricablement liée à la guérison du monde. Si chaque être humain vivait avec respect dans son cœur, ce pourrait être un monde différent.
Se libérer de l’esclavage
Après les parties formelles de la cérémonie, il était temps de raser les têtes des novices, j’ai commencé à raser la tête de frère Mario. Nous rasons d’abord à l’aide de la tondeuse électrique, puis d’un rasoir à trois lames pour enlever complètement tous les cheveux, laissant une tête propre et dégarnie. Frère Mario prend le nom de Frère Ciel du champ du Dharma (Trời Ruộng Pháp). Sa mère, son ex-partenaire et son nouveau mari étaient venus le soutenir. Après quelques hésitations, sa mère s’est aussi jointe à nous pour raser les cheveux de son fils.
De nombreux parents, amis et membres de la famille viennent soutenir leurs proches en cette journée de transition. Beaucoup versent des larmes au fur et à mesure que les cheveux sont rasés. C’est, à juste titre, un moment douloureux pour quelques pères et mères, un moment solennel et sacré.
Le rasage de nos cheveux représente l’affranchissement de nos servitudes et la détermination à transformer toutes nos afflictions et à vivre une vie de liberté spirituelle. Nous promettons de couper tous nos liens aux désirs mondains et à l’amour romantique, au confort matériel et aux plaisirs sensuels, et à une notion individualiste de séparation et de préjugés. Le vœu de « transformer toutes mes afflictions » est une tâche impossible, mais nous le prenons comme boussole pour nous aligner sur ce qui est le plus profond de notre cœur. Nos afflictions d’avidité, de haine, de discrimination et de peur, au niveau individuel et sociétal, sont la cause réelle des maux sociaux, de la violence, de la perturbation et du déséquilibre écologiques. Plus tard dans notre vie monastique, quand nous toucherons notre crâne rasé, nous pourrons nous souvenir de ce vœu et de ce moment où nous avons fait notre premier pas sur le chemin de la liberté spirituelle.
La chasteté au milieu de la surpopulation
Nous jurons de vivre une vie de chasteté, de ne jamais avoir d’enfants pour porter nos gènes et notre nom de famille. Ce choix n’est pas pour tout le monde, mais certaines personnes n’ont pas envie d’avoir leur propre famille ou d’être mariées à une seule personne. Nous apprenons le véritable amour là où il y a une profonde intimité et connexion, mais pas d’attachement ou de possessivité ; là où il y a des soins tendres et une amitié durable, mais pas de passions fugitives et de fantasmes incontrôlés.
Apporter le bonheur à tous est devenu l’aspiration des novices – étendre continuellement leur amour en apportant plus de paix et de joie dans le monde et en aidant à soulager la souffrance. Encore une fois, c’est une tâche impossible, mais c’est un autre vœu pieux de nous maintenir sur la bonne voie avec compassion et liberté. Quand nous n’avons pas nos « propres » enfants, les enfants des autres deviennent les nôtres. Quand nous n’avons pas notre « amour unique », nous sommes libres de prendre soin et d’aider les autres librement, sans attachement et sans les « posséder ». Chaque enfant que je rencontre sur le chemin est mon enfant ; chaque autre personne, ma famille. Nous apprenons à prendre soin de tout le monde de cette façon. Nous avons plus de temps pour être avec les autres et pour aider au besoin. Une vie de célibat est extrêmement pratique si vous voulez vivre une vie au service des autres. Compte tenu du taux de croissance de la population sur cette planète fragile aux ressources limitées, choisir de ne pas avoir d’enfants ou de s’occuper des enfants des autres peut être un soulagement pour notre planète actuellement en difficulté. Le vœu de célibat fait allusion à la situation désastreuse à laquelle nous, en tant que race humaine, devrons éventuellement faire face – la dure tâche de nourrir, d’abriter et de subvenir aux besoins de tous sur la planète. À l’heure actuelle, la population humaine est de 7,6 milliards d’habitants, soit près de trois fois plus que dans les années 1950, et elle augmente de 83 millions par an.
Choisir une voie alternative de
simplicité
Nous faisons le vœu de vivre une vie simple et
modeste sans trop de confort matériel et de consommation. Pas
d’alcool, pas de drogues, pas de régime à base de viande ou de
produits laitiers ; pas de cosmétiques, de bijoux ou d’amusements
mondains ; pas d’argent ou de choses matérielles à amasser. La vie
monastique n’est certainement pas pour tout le monde, surtout ceux
qui vivent dans une culture capitaliste où la routine typique est le
travail, les dépenses, la propriété et le divertissement. Si
chacun aspirait à réduire sa consommation de biens, sa consommation
d’énergie (nourriture, eau, gaz et charbon) et sa production de
déchets, surtout dans les pays riches et développés, il pourrait
réduire son impact sur l’écosystème.
Pour ces nouveaux moines et moniales, avoir un peu moins qu’il n’en faut fera partie de la formation des novices. Pour eux, le bonheur n’est plus d’en avoir plus, c’est de savoir qu’ils en ont déjà assez et d’être reconnaissants pour toutes les conditions du bonheur dans le moment présent – les yeux pour voir toutes les formes et les couleurs magnifiques, les poumons pour respirer tranquillement, ou la présence des êtres chers. Le bonheur d’un novice n’est plus basé sur des choses matérielles. Au lieu de cela, il est basé sur le développement spirituel – leur capacité à tenir et à gérer leur souffrance et leur douleur et à cultiver et à soutenir leur paix et leur joie. Avec de la pratique, ils s’enrichiront du Dharma et pourront ainsi l’offrir aux autres. S’écarter de la voie conventionnelle et sûre peut être un choix douloureux et effrayant pour ceux d’entre nous qui ont été élevés dans une société où notre valeur, notre but, notre succès et notre sécurité sont basés sur l’argent et les choses matérielles. Une grande partie de ma vie était basée sur ces choses. Je n’oublierai jamais quand j’ai mis mon compte bancaire à zéro, que je me suis débarrassé de ma voiture et que j’ai coupé toutes les cartes de guichet automatique, les cartes de membre. Je me souviens m’être sentie heureux et libre, sentiment mélé à la peur et à l’insécurité face à un avenir inconnu. Maintenant, sans compte bancaire, sans assurance maladie ou sans voiture, je me sentais vulnérable et peu sûr de moi. Que se passera-t-il si je tombe malade, si je vieillis et que je prends ma retraite, ou si j’ai besoin d’acheter quelque chose ? Je me souviens d’avoir vécu ces pensées et ces inquiétudes comme des chaînes qui m’empêchaient de faire ce que j’avais de plus important dans mon cœur, des chaînes qui me lient les pieds et empêchent mon cœur de voler librement.
En y regardant de plus près, je constate que nous nous sommes perdus en tant que famille humaine, que nous avons tout basé sur le dollar, la croissance économique, les promotions et les augmentations de salaire, nos comptes bancaires et l’expansion des installations d’entrepos qui accumulent nos excès. Les choses mêmes qui nous ont permis de nous sentir en sécurité et de nous identifier à ce que nous possédons, ce sont en fait des prisons. Les barreaux et les murs sont nos peurs et notre insécurité. Nous avons peur de ne pas en avoir assez ; ou nous en avons beaucoup, mais nous en voulons encore plus.
Cette voie matérialiste n’est pas durable. Nous avons besoin d’une voie que j’appellerais la « récession du bénévolat ». Nous sommes surdéveloppés, surdimensionnés et à la limite de ce que cette planète peut supporter, en particulier nos pays développés. Notre planète a besoin de volontaires pour diverger et vivre avec moins qu’il n’en faut et pour partager avec ceux qui en ont vraiment besoin. Ces novices sont ces nouveaux bénévoles, engagés à dépenser moins, à posséder moins et à consommer moins.
Choisir une vie de partage et de communauté
Nous promettons également de vivre en communauté, de partager notre temps et nos ressources et de contribuer au bien-être des autres. La communauté doit être l’image d’un avenir durable pour notre planète. Au fur et à mesure que la population humaine augmente, le modèle de vie individuelle, de la famille nucléaire doit changer. Il n’est plus viable pour tout le monde de posséder une voiture, un réfrigérateur, une cuisinière et une maison à plusieurs pièces, surtout avec la croissance démographique prévue. Le rêve de ce qui est considéré comme une bonne vie doit évoluer. Ces novices apprendront à vivre et à travailler avec les autres, à communiquer, à interagir et à construire des relations profondes. L’intégration communautaire peut représenter un défi pour ceux d’entre nous qui ont l’habitude de vivre seuls. Nous avons quitté la maison de nos parents pour avoir notre propre appartement, notre indépendance. Les novices partageront une chambre avec trois autres, parfois avec six ou sept autres dans certains monastères. Ils s’exerceront à voir que leur bonheur et leur souffrance sont inextricablement liés au bonheur et à la souffrance des autres. Ils apprendront à vivre en relation avec tout ce qui les entoure – leurs frères et sœurs, leur nourriture et leur eau, leurs vêtements et leur logement, leurs sentiments et leur état mental – toutes conditions qui remettent en question leur notion de séparation et d’indépendance.
Vivre en communauté est une pratique concrète de l’enseignement sur le non-soi et l’inter-être. Nous avons l’habitude de voir que notre contribution est importante, que notre présence affecte la vie de la communauté et que la présence et la contribution de tous les autres sont valorisées. Nous apprenons à dépendre des autres et à les chérir. Lorsque nous pouvons maintenir vivante cette conscience d’interdépendance, nous sommes remplis de gratitude. Nous apprenons à nourrir et à valoriser toutes les conditions de notre existence, de l’air que nous respirons à la cuillère métallique avec laquelle nous mangeons.
La vie en communauté est la voie à suivre pour notre planète, en partageant les ressources et en prenant soin les uns des autres et de notre environnement. Une communauté peut devenir un refuge pour tant de personnes qui viennent se revitaliser, guérir et transformer leur souffrance et apprendre à se nourrir et à prendre soin d’elles-mêmes.
Sacrifier – il y a un coût à tout.
Choisir une voie radicale peut faire mal et peut être dérangeant pour notre routine quotidienne et nos habitudes. Il est difficile de changer notre mode de vie et d’être le changement que nous demandons aux autres, à nos gouvernements et aux entreprises, car cela implique de changer notre façon de nous voir, de voir nos activités et notre place dans le monde. Il y a des sacrifices ; il y a un coût à choisir ce chemin monastique. Chaque novice a choisi de ne plus vivre et penser comme avant. Ce n’est pas un choix facile à faire ou à conserver. Nos habitudes, nos notions et nos anciennes façons de penser continueront de nous interpeller. Cela peut parfois être douloureux – un acte de lâcher prise. Ce n’est pas pour tout le monde.
Ces novices vivront loin de leur famille et de leurs proches et leur rendront visite une fois tous les deux ans. Pourtant, nous avons découvert que nous apprécions nos proches plus que lorsque nous vivions près d’eux. En fait, en ayant moins de choses, moins de contacts avec nos proches, moins d’idées et de notions, moins de réflexion et de consommation, nous chérissons davantage, nous protégeons davantage et nous profitons davantage, sans frais pour l’environnement.
Nous devons abandonner beaucoup de choses – nos notions sur le succès, le bonheur et le but de la vie. Nous apprenons à nous détacher des idées sur nous-mêmes, sur les autres et sur le monde. A partir de cela, nous avons la chance de découvrir la vraie merveille d’être tout simplement en vie. Cette économie, cette simplification de nos notions sur la nature et le but de la vie, est la révolution de la conscience nécessaire pour un changement réel et durable.
Pour vivre durablement sur cette planète, nous devons être un élément durable de notre mode de vie, de nos actions sociales et climatiques et de notre façon de voir notre place dans l’univers. Nous devons faire plus que d’ajuster notre production de CO2, changer notre mode de transport, notre source d’énergie ou nos choix alimentaires. De tels choix sont cruciaux et peuvent avoir un grand impact sur la planète. Pour un changement durable, nous devons abandonner nos anciennes façons de voir le monde comme séparé de nous et là pour nous servir. Nous devons commencer à vivre avec des yeux d’inter-être au service des autres, en considérant tous les êtres, l’environnement et la planète comme rien de moins que nous-mêmes.
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