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Le rire des enfants fait echo

Frère Phap Niem nous relate de merveilleux souvenirs de Frère Giac Thanh, également connu sous le nom de Frère Nuage Flottant. Il comptait parmi nos frères aînés au monastère du Village des Pruniers et fut aussi l’abbé du monastère de Deer Park, aux Etats-Unis.

Frère Giac Thanh

Frère Giac Thanh était l’un des frères aînés du Village des Pruniers. Il vivait dans la cabane des nuages flottants sur la colline face au lever du soleil, juste à côté de la cabane de l’assise tranquille de Thây au Hameau du Haut. C’est pour cette raison qu’il nous arrivait aussi de l’appeler ‘Frère Nuage Flottant’. Frère Giac Thanh a apporté son soutien au démarrage du centre de méditation Fleur de Cactus (devenu ensuite Maison de l’Inspir) en s’y rendant un week-end par mois afin d’offrir des enseignements aux amis laïcs et les guider. Il revenait ensuite au temple du Nuage du Dharma pour aider les jeunes frères à progresser dans leur pratique. C’est pourquoi certains l’appelaient aussi ‘Frère Fleur de Cactus’.

Outre les surnoms de Frère Nuage Flottant et Frère Fleur de Cactus, Thây lui avait aussi offert le nom ‘Tra Su’ (Maître du thé). C’est probablement le nom que tous aimaient et que l’on associait au style de maître zen qu’avait le Frère Giac Thanh. Quant à lui, il aimait particulièrement être appelé ‘Nuage flottant’. Ces deux noms évoquent sa paix, sa liberté et son aisance, et quiconque avait la chance de l’approcher pouvait profiter de ces qualités car il dégageait toujours une énergie sainte et pure. Les amis occidentaux le chérissaient et aimaient être auprès de lui.

Fr. Giac Thanh

Le chercheur

Lorsque je suis arrivé au Village des Pruniers le 12 juin 1994 afin de devenir aspirant, Frère Giac Thanh était déjà là. Il était venu pour la première fois au Village des Pruniers en 1991. J’aimerais raconter quelques anecdotes et moments particuliers de ma présence et de mon apprentissage auprès de mon frère aîné.

Selon ce que j’ai entendu, l’histoire de son arrivée au Village des Pruniers, est très intéressante. Frère Giac Thanh était quelqu’un qui cherchait toujours à apprendre, en particulier quand il s’agissait de méditation. Alors qu’il était encore au Vietnam, il avait déjà étudié la méditation avec le maître zen Thich Thanh Tu, du monastère de la forêt de bambous (Tu Vien Truc Lam). À l’époque, il comptait parmi ses condisciples le frère Thich Minh Nghia (aujourd’hui abbé du monastère de Toan Giac et du temple ancestral de Giac Nguyen), le frère Thich Phuoc Tinh, qui se trouve actuellement au monastère de Deer Park, et bien d’autres. Je conseille aux personnes qui souhaitent en savoir plus sur le Frère Giac Thanh de s’adresser aux vénérables moines cités plus haut, en particulier au Vénérable Phuoc Tinh.

D’après mes informations, quand Frère Giac Thanh était à la recherche d’un enseignant, il désirait ardemment apprendre ; il était sincère et ouvert ; quelqu’un qui ne se laisse pas prendre par la forme. Pour certaines techniques de travail, ou pour les rituels zen, il n’était peut-être pas si compétent. Il concentrait toute son énergie sur la pratique et préférait une vie tranquille et contemplative. Il avait toujours un désir ardent d’apprendre et de réaliser l’essence du Zen. On pouvait voir Frère Giac Thanh partout, tant il était désireux d’apprendre, même après son arrivée en Occident. Dès qu’il entendait parler d’un maître de méditation réputé, qu’il soit laïc ou monastique, homme ou femme, il venait étudier la méditation auprès de lui.

Il méditait avec diligence pendant de longues périodes, réfléchissant en silence, espérant réaliser l’essence du Zen. Le frère Giac Thanh entrait souvent dans une profonde concentration et perdait alors complètement conscience de son corps. C’est peut-être aussi pour cette raison que chaque fois qu’il s’asseyait en profonde concentration, même en écoutant l’enseignement de Thây, il roulait souvent la tête d’avant en arrière sans s’en rendre compte. Chaque fois que Thây voyait cela, Thây l’appelait : « Frère Giac Thanh, ouvre les yeux ! Ne reste pas les yeux fermés pendant la concentration ! » En entendant Thây, Frère Giac Thanh ré-ouvrait les yeux et sa tête cessait de rouler.

La fin de l’errance et de la recherche

Frère Giac Thanh était à la recherche d’un professeur. Un jour, alors qu’il rendait visite à sa famille au Canada, il rencontra Thây lors d’une retraite au Maple Village, à Montréal. Avec ses couleurs éclatantes, l’automne en Amérique du Nord est toujours d’une beauté indescriptible. On ne peut qu’être silencieux et en profiter, en profiter pleinement. Au cours d’une marche méditative, Thây et la sangha se sont arrêtés, puis se sont assis sur l’herbe pour se baigner dans les couleurs de l’automne et savourer du thé. Le frère Giac Thanh s’est assis à côté de Thây Au coeur de cette merveilleuse réalité, Thây a pointé du doigt la radieuse forêt d’automne et dit : « Frère Giac Thanh, ce que vous avez cherché pendant si longtemps est juste là ! C’est là ! C’est là ! » Ces paroles instructives furent la dernière goutte d’eau menant à un débordement, créant une ouverture, un relâchement dans l’esprit de Frère Giac Thanh : il atteignit un merveilleux état de liberté. Le bonheur de ce goût de la liberté était immense. Il était peut-être le seul à pouvoir le ressentir clairement et personne d’autre ne peut le décrire. À compter de ce jour-là, il a véritablement cessé de chercher. Il a pris refuge en Thây, son maître, jusqu’à sa mort. Depuis cet automne, chaque fois que les plus jeunes pensaient au Frère Giac Thanh, nous ne pouvions nous empêcher de chanter ‘One Maple Leaf Falls’ (Et tombe une feuille d’érable) en signe d’offrande pour lui. Il aimait beaucoup cette chanson.

Paroles en anglais :
One maple leaf falls,
my dear, do you hear it?
One maple leaf falls,
autumn returns with its beauty.
A thousand leaves are falling,
amber, crimson, gold.
A thousand leaves are falling,
soaring across the sky.

Traduction en français :
Et tombe une feuille d'érable,
ma chère, l'entends-tu ?
Et tombe une feuille d'érable,
l'automne revient avec sa beauté.
Un millier de feuilles tombent,
ambre, pourpre, or.
Mille feuilles tombent,
s'envolant dans le ciel.

Au cours des années où j’ai pu apprendre, en étant à son contact et partageant le thé avec lui, j’ai pu entendre Frère Giac Thanh raconter un rêve qu’il avait fait avant de venir au Village des Pruniers. Dans ce rêve, il était allongé et voyait une vieille femme au pied du lit qu’il occupait. Elle le regardait avec des yeux très doux, gentils et brillants, et lui disait : « Viens à la maison, mon enfant. »

Plus tard, lorsqu’il rencontra Thây, il vit que la vieille femme du rêve ressemblait beaucoup à Thây, et il eut la certitude qu’elle n’était autre que Thây. C’est précisément en raison de ces conditions prédestinées que le Frère Giac Thanh a toujours porté Thây dans son cœur avec beaucoup de respect et d’amour, d’une manière tranquille et infiniment belle.

Le récit face à la splendeur de l’automne peut nous rappeler l’histoire du Maître Zen Lingyun Zhiqin (Maître ‘Nuage Sacré’). Un matin, il se réveilla devant des fleurs de pêcher épanouies et toucha soudain l’illumination. Les nombreux doutes qu’il avait à l’esprit se dissipèrent et il toucha la nature de la vie, du non-soi. Le maître avait passé trente ans à trouver le maître des sabres, c’est-à-dire à trouver son visage originel, sa vraie nature. Les fleurs de pêcher s’épanouissent, le maître zen voit.

三十年來尋剑客
几回落叶又抽枝
自从一见桃花后
直至如今更不疑

En anglais :
For thirty years I’ve sought the swordsman.
Many times the leaves have fallen to sprout anew.
Following one glance at a peach blossom,
I no longer have any more doubts.

Originellement traduit en anglais par Andy Ferguson, de l'Héritage Zen Chinois : The Masters and Their Teachings (Boston : Wisdom Publications, 2000), pp. 183-184.

Traduction en français :
Trente années durant j'ai cherché l'épéiste.
A maintes reprises sont tombées les feuilles, pour germer à nouveau.
Après un regard sur une fleur de pêcher, je n'ai plus de doutes.

Au décès de Frère Giac Thanh, Thây lui a offert une paire de versets parallèles :

En anglais :
One maple leaf has fallen down, and yet you continue to climb the hill of the 21st century with us.
Thousands of daffodils are beginning to bloom and the earth continues to be with the sky, singing the song of no-birth and no-death.

Traduction en français :
Une feuille d'érable est tombée, et pourtant vous continuez à gravir la colline du 21ème siècle avec nous.
Des milliers de jonquilles commencent à fleurir et la terre continue à être unie au ciel, chantant la chanson de la non-naissance et de la non-mort.

Revêtir la robe de la liberté

Frère Giac Thanh fut bien longtemps ‘libre de sanghati’Une « sangati » est la robe jaune que les moines et moniales du Village des Pruniers portent par-dessus leur robe marron pour les occasions formelles telles que les cérémonies et récitations., c’est-à-dire qu’il venait aux récitations de préceptes vêtu de sa seule longue robe, ou même seulement de robes courtes recouvertes d’une veste de l’Ordre de l’inter-être. L’abbé de l’époque en était extrêmement contrarié. Chaque fois qu’il voyait le frère Giac Thanh, frère aîné, venir à la récitation des préceptes ‘sans sanghati’, il manifestait son mécontentement. Il était bien compréhensible que l’abbé, alors deuxième frère le plus âgé de la sangha, se montre contrarié. Il avait la responsabilité de guider la sangha vers l’ordre, et non vers un ‘style libre’ effréné. Bien que parfaitement conscient du fait que l’abbé était mécontent et lui avait déjà demandé respectueusement de porter sa sanghati pour la récitation des préceptes, pour servir d’exemple aux plus jeunes, Frère Giac Thanh restait ‘libre de sanghati’.

J’étais un jeune moine à l’époque. Je comprenais à peine ce qui se passait et je n’étais certainement pas qualifié pour dire quoi que ce soit. Thây devait avoir entendu les plaintes et était au courant, mais il a fait comme si de rien n’était. Les autres frères étaient également au courant, mais personne ne s’est plaint et personne n’a suivi. Thây était le professeur de Frère Giac Thanh, et si Thây ne disait rien, alors de quel droit l’aurions-nous fait ? Seuls Thây et Frère Giac Thanh se comprenaient à ce niveau. C’est peut-être pour cela que Thây n’a rien dit. En fin de compte, Frère Giac Thanh demeurait Frère Giac Thanh, ‘libre de sanghati’.

Le printemps en Occident est incroyablement beau. Vient ensuite l’hiver, et la forêt perd toutes ses feuilles, ne laissant que des branches nues qui paraissent mortes. Mais après trois mois de sommeil, les bourgeons et les pousses éclatent rapidement et, en peu de temps, elles laissent apparaître des feuilles vertes. La forêt était d’un vert tendre, pleine de vie. Il y avait des moments au printemps où

Frère Giac Thanh s’asseyait sur le pont de la hutte des nuages flottants et murmurait : « Ma sanghati est celle des vastes ciel et terre, le vert de la nature ; je la porte chaque jour, à tout moment. » Frère Giac Thanh avait transcendé les fausses apparences en une réalité sans signe, que lui seul pouvait ressentir profondément. Thây le comprenait. Et même si, dans la forme, il ne portait pas la sanghati, il la portait toujours en son essence, dans le cœur de celui qui a atteint la réalité sans signe. Il portait la robe de la libération qui ne peut être vue ni connue des autres, sauf de Thây Le calme et la liberté des maîtres zen s’expriment de mille et une façons. Ce que tout le monde sait, c’est qu’on ne peut pas vraiment devenir un maître zen par simple mimétisme. Si nous essayons de les imiter, nous recevrons invariablement un ‘bâton zen’.

Jardin du Bouddha de la salle du nectar du Dharma au HHameau du Bas

Solide et libre

À l’époque où je suis arrivé, le Hameau du Haut était encore très rustique. Les conditions matérielles et les infrastructures étaient encore très modestes. Il n’y avait qu’une quinzaine de moines à l’époque. Nous vivions heureux et satisfaits ensemble. Les jours d’hiver glacials, les chambres non isolées n’avaient qu’un petit poêle à bois (pour le chauffage) et un lit constitué d’une feuille de contreplaqué posée sur quatre briques. Nous allumions le poêle avant d’aller nous coucher mais, au milieu de la nuit, le bois était épuisé, le poêle était froid et, blottis dans nos sacs de couchage fragiles, nous avions froid. Se lever le matin constituait toujours un énorme défi. Nous devions être particulièrement héroïques. Si nous voulions nous lever, nous devions le faire tout de suite ! Nous commencions par faire des mouvements et bouger nos corps, avant de sortir courageusement nous laver le visage, nous brosser les dents, puis nous rendre à la séance de pratique matinale.

L’ancienne salle de méditation était à l’origine une étable. Elle n’avait pas de cheminée et les murs étaient construits en pierre calcaire. Même s’il faisait un froid glacial, les frères poursuivaient les méditations du matin et du soir avec diligence. Il y avait une petite cuisine au Hameau du Haut et, à l’étage au-dessus, la salle à manger des moines. Les tables à manger étaient disposées en carré, de façon à ce que, durant leurs repas, les frères puissent se voir et s’exercer à être présents les uns pour les autres.

Un matin, après les deux coups de cloche marquant la fin du repas silencieux, un jeune frère (quelqu’un de particulièrement impatient) s’est levé du côté opposé à Frère Giac Thanh. Avant même que d’autres puissent se lever de table, il choqua tout le monde en injuriant lourdement Frère Giac Thanh. En tant que jeune frère, je ne pouvais pas croire qu’un autre jeune puisse insulter notre frère aîné de la sorte. Pour je ne sais quelle raison, il était très en colère et hurlait : « Maître zen ? Mais quel genre de maître zen êtes-vous ? Vous êtes de la merde, du pipi, du pipi… ! » Ma surprise fut encore plus grande quand je me tournai vers Frère Giac Than. Il était assis et mangeait calmement, paisible, libre, complètement insensible aux insultes. Il regardait son jeune frère avec compassion et compréhension. Les autres frères aînés sont intervenus et ont traîné le jeune frère hors de la salle à manger. Je pensais que quelque chose de grave allait se produire.

Mais tout s’est déroulé sans heurts, comme si rien ne s’était passé. Peut-être que Frère Giac Thanh n’a pas permis à l’abbé de forcer le jeune à s’excuser. Peut-être a-t-il laissé les autres frères gérer la situation. Frère Giac Thanh était de nature tolérante et ouverte ; il souhaitait toujours que tout se déroule au plus simple. Quelques jours plus tard, le jeune moine se rendit de son plein gré à la cabane de Frère Giac Thanh et revêtit sa sanghati pour toucher la terre en signe de repentir pour son ignorance. Frère Giac Thanh ne lui permit pas de se prosterner. Au lieu de cela, il lui a demandé d’ôter sa sanghati et de s’asseoir pour partager le thé avec lui. Frère Giac Thanh a partagé, écouté et guidé le jeune moine avec douceur. Et ensuite, ce fut comme si rien ne s’était passé. Cet incident m’a renforcé dans la confiance que la libération et l’éveil sont bien réels ; c’est quelque chose que nous pouvons voir de nos propres yeux et pas seulement quelque chose que l’on lit dans les livres. Je suis heureux d’avoir eu la chance de côtoyer un tel grand Frère.

Rien ne naît, rien ne meurt

Un jour, alors que j’étais l’assistant de Frère Giac Thanh, j’ai accidentellement cassé une de ses tasses à thé provenant d’un service de pièces anciennes auquel il tenait beaucoup. Giac Thanh était un maître du thé. Les maîtres du thé avaient toujours du bon thé et de précieuses théières. Mais il ne possédait que ce seul service. Un jour, alors que Frère Giac Thanh lavait son service à thé sur la terrasse de sa cabane, il m’a demandé de trouver une éponge à vaisselle. Lorsque je la lui ai apportée, mon orteil a accidentellement touché l’une des quatre tasse :, elle a roulé, puis s’est soudainement brisée en deux. J’ai eu vraiment peur ! Mon visage a viré au gris et mon corps s’est mis à trembler de façon incontrôlable.

Voyant cela, Frère Giac Thanh a rapidement ramassé les deux morceaux cassés avant de les cacher derrière son dos. « Hé ! Il n’y a rien de cassé. N’est-ce pas, mon enfant ? Cette tasse ne s’est jamais brisée. Elle fait semblant d’être cassée. Mais pourrait-elle l’être ? Tout s’assemble en raison de certaines conditions, puis se cache en raison d’autres conditions. Sa nature est ‘non cassée’. » La peur et la tristesse m’ont envahi car je savais qu’il aimait vraiment ces tasses. Mais après avoir entendu ses mots, mon cœur s’est allégé. Il a fait disparaître ma peur avec compassion et m’a même appris que la tasse de thé est de nature à ‘ne ni naître ni mourir’. C’est une leçon que je n’oublierai jamais. Frère Giac Thanh chérissait vraiment le service à thé, mais il était également prêt à le laisser partir à tout moment.

Au centre: Fr. Giac Thanh, 1993

Le tendre enfant intérieur

Pendant longtemps, Frère Giac Thanh ne s’est pas rendu à la marche méditative avec la sangha. Il souffrait d’un diabète sévère. Tout en étant l’assistant de Thây, j’ai aussi, durant deux années, pris soin de la nourriture et du linge de Frère Giac Thanh. Il aurait été impossible à une personne ‘ordinaire’ de manger comme lui car sa nourriture n’avait aucun assaisonnement, pas même du sel. Je devais être très créatif pour confectionner des plats inspirants. Frère Giac Thanh mangeait très bien, mais même si l’on mange bien ou si l’on fait des efforts, on finit toujours par se lasser. Un jour, il se montra particulièrement fatigué des repas et, je ne sais comment, il a trouvé un paquet de nouilles instantanées et les a préparées en secret. Comme je l’avais surpris et que je tentais de l’empêcher de les manger, Frère Giac Thanh m’a dit : « Phap Niem, laisse ton frère aîné manger, juste un seul paquet, pour lui éviter l’ennui. » Je n’ai pas pu l’arrêter. En fait, je faisais seulement semblant de l’arrêter parce que je savais qu’il s’était beaucoup lassé de sa nourriture.

Une autre fois, Frère Giac Thanh avait les chevilles enflées et ne pouvait plus à marcher qu’au prix de gros efforts. Et comme il s’absentait de la marche méditative depuis plusieurs mois, Thây lui rendit visite personnellement en lui demandant de venir marcher avec la sangha. Frère Giac Thanh a dit que ses jambes lui faisaient mal et qu’il ne pouvait pas marcher. Il pensait que, de cette façon, Thây le laisserait tranquille. Mais qui se serait attendu à ce que Thây fasse pression sur lui pour qu’il aille à la marche méditative ? Thây l’a légèrement grondé et lui a dit qu’il devait marcher à l’extérieur pour que ses jambes guérissent. N’osant pas désobéir à Thây, Frère Giac Thanh est parvenu à suivre les instructions de Thây Mais il avait une idée en tête : Oui, d’accord, allons-y. Je vais marcher et laisser mes jambes gonfler, puis vous verrez. Déjà qu’il est sans pitié ! maintenant il me force même à participer à la méditation marchée ! Mais après avoir marché avec la sangha durant une semaine environ, un miracle s’est produit : le gonflement s’est réduit, ses jambes ont guéri et il a pu à nouveau marcher facilement. Frère Giac Thanh était très surpris et il s’est exclamé : « Hé ! Le vieil homme est effrayant ! ». Nous avons tous un petit enfant en nous, quel que soit notre âge, et cet enfant intérieur est innocent et d’une beauté unique.

Le chant de l’immortalité

En 2001, pendant la tournée d’enseignements de Thây en Chine, nous avons reçu la nouvelle du décès de Frère Giac Thanh. Thây et les frères et sœurs ont organisé un service commémoratif dans le bus, car le programme de la tournée était très chargé. À la fin de sa vie, Frère Giac Thanh a été choisi par Thây pour être l’abbé du monastère de Deer Park. Il était un merveilleux abbé, travaillant  la journée et se couchant pour se reposer le soir. Il portait un sac de dialyse douze heures durant. Tout le monde l’aimait beaucoup.

Le monastère de Deer Park se trouve en Californie du Sud. Pour une raison inconnue, lorsque le frère Giac Thanh s’y est rendu pour être abbé, il a recommencé à porter sa sanghati. « En tous points, soyez souverain de vous-même. Où que vous vous teniez, soyez votre véritable personne. » (Maître Linji-随处作主,立处皆真). En fonction du lieu, de la situation et des personnes, Frère Giac Thanh savait comment réagir de manière appropriée. Tout est manifestation. Pour lui, qu’il s’accroche ou qu’il lâche prise, il était libre. Une personne libre n’est piégée par aucune forme ni signe, ni même par le ‘non-signe’. Dans le Soutra du Diamant, il est dit : « Subhuti, si tu penses que le Tathagata réalise l’esprit le plus élevé, le plus accompli, le plus éveillé et qu’il n’a pas besoin d’utiliser tous les signes, tu te trompes. Subhuti, ne pense pas de cette façon. »

Un stupa commémoratif à la mémoire de Frère Giac Thanh a été construit au monastère de Deer Park, sur le flanc de la montagne. Au cœur de ce stupa est gravé un poème posthume que Thây a écrit pour lui.

En anglais :
That you are a virtuous one is already heard by everyone,
the work of a true practitioner has been accomplished.
When your stupa has just been raised on the hillside,
the sound of children’s laughter will already be heard.

Traduction en français :
Tous savent déjà que vous êtes un homme vertueux,
le travail d'un vrai pratiquant a été accompli.
Alors que votre stupa vient d'être élevé sur la colline,
le son des rires des enfants se fait déjà entendre.

Frère Giac Thanh était un véritable héros, un grand homme. Il avait accompli l’acte le plus digne d’un pratiquant : la carrière de l’éveil. Il a construit son stupa, non pas avec des pierres mais avec la libération, l’éveil, la solidité et la liberté, et nous continuons à en bénéficier. Ce stupa est aussi sa sangha. Au cours des années qui ont suivi le décès de Frère Giac Thanh, de nombreux jeunes, vietnamiens et américains, sont venus pratiquer et demander l’ordination au monastère de Deer Park. Tous sont sa continuation. Le rire de l’innocence, de la joie et de la liberté résonne encore dans ces cieux sans fin.

Nombreux sont ceux qui peuvent relater d’autres moments merveilleux partagés avec Frère Giac Thanh, bien plus que moi. Chaque fois que je m’assois pour préparer une tasse de thé, je me souviens de lui à travers les sons vivants du Dharma, résonnant dans mon esprit ainsi que dans les tasses de thé chaudes qu’il m’a appris à boire avec conscience. « Ah ! Vous voyez ? » Frère Giac Thanh est toujours là, en chacun de nous, nous taquinant et buvant du thé avec nous. « Ha ! Ha ! Ha ! »

Avec mon plus profond respect ;
à mon grand frère bien-aimé Giac Thanh,
Chan Phap Niem


La Revue du Village des Pruniers

Cet article est paru initialement en anglais dans la Revue du Village des Pruniers. Si vous souhaitez commander un exemplaire en anglais (au format papier ou pdf), ils sont disponibles par donation sur le site de Parallax Press.

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Thich Nhat Hanh January 15, 2020

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