Souvenirs de la vie de novice de Thay (3)
Ce récit est le troisième de la série des souvenirs de la vie de novice de Thay.
Il est extrait du livre
La terre est ma demeure, autoportrait d’un artisan de paix, paru aux éditions Belfond
Quand j’étais encore novice à la pagode Tu Hiêu, on ne pouvait pas dire que laver la vaisselle fût une tâche agréable.
Pendant la retraite annuelle de la saison des pluies, tous les moines revenaient au monastère pour pratiquer ensemble pendant trois mois et nous n’étions parfois que deux novices à faire toute la cuisine et toute la vaisselle pour plus d’une centaines de moines. Il n’y avait pas de liquide vaisselle. Nous n’avions à notre disposition que de la cendre, de la balle de riz et des écorces de noix de coco; rien d’autre. Laver une pile de bols aussi gigantesque se révélait une tâche ardue, surtout en hiver quand l’eau était glacée. Nous devions alors faire chauffer une grosse marmite d’eau avant de pouvoir récurer quoi que ce soit. De nos jours, avec le liquide vaisselle, les éponges à gratter et même l’eau chaude qui sort du robinet, c’est beaucoup plus facile d’apprécier de faire la vaisselle.
A mon avis, l’idée que faire la vaisselle est désagréable ne nous vient à l’esprit que quand on n’est pas en train de la faire. Une fois qu’on se tient devant l’évier, les manches retroussées et les mains dans l’eau chaude, on peut dire que c’est plutôt agréable.
J’aime prendre mon temps à chaque assiette, pleinement conscient de ce que j’ai entre les mains, de l’eau et de chacun de mes mouvements. Je sais que si je me dépêche de finir pour me rasseoir plus vite et prendre un dessert ou une tasse de thé, ce moment passé à faire la vaisselle sera désagréable et ne méritera pas d’être vécu. Ce serait dommage, car chaque minute, chaque seconde de la vie est un miracle. La vaisselle elle-même et mon action de la laver sont des miracles!
Si je suis incapable de faire la vaisselle dans la joie, si je veux en finir rapidement pour prendre un dessert ou une tasse de thé, je serai tout aussi incapable d’apprécier le dessert et le thé quand je les aurai enfin devant moi.
La cuillère à la main, je serai en train de réfléchir à ce que je ferai après: la texture et la saveur du dessert ainsi que le plaisir de le manger seront perdus. Je serai constamment entraîné vers l’avenir, passant à côté de la vie, jamais capable de vivre l’instant présent.
Chaque pensée, chaque action produite à la lumière de notre attention devient sacrée. Sous cette lumière, il n’y a pas de frontière entre le sacré et le profane. J’avoue que je mets un peu plus de temps à faire la vaisselle, mais je vis pleinement chaque instant et je suis heureux. Laver la vaisselle est à la fois un moyen et une fin en soi. Nous lavons la vaisselle non seulement pour avoir de la vaisselle propre, mais aussi simplement pour faire la vaisselle, pour vivre pleinement chaque instant pendant que nous accomplissons cette tâche et pour être vraiment en contact avec la vie.
Si ce récit vous a plu, vous pouvez lire aussi un souvenir de novice, sur l’art de fermer une porte et la méditation de la mandarine
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