Souvenirs de la vie de novice de Thây (4)
Ce récit est le quatrième de la série des souvenirs de la vie de novice de Thây au temple Tu Hieu de Huê.
Il est extrait du livre
Feuilles odorantes de palmiers, Journal 1962-1966 paru aux éditions La Table Ronde
Avant que les chevaliers de l’ancien temps ne descendent de leurs terrains d’entraînement en montagne pour secourir ceux qui en avaient besoin, ils s’entraînaient longtemps avec des maîtres vénérés pour leur pratique des arts martiaux.
Ma formation de moine bouddhiste ressemblait à la leur. Elle consistait en un petit livre, Gathas* pour la vie quotidienne. J’ai appris à cuisiner, à balayer, à transporter de l’eau et à couper du bois.
Certains d’entre nous n’ont pas le temps d’apprendre à cuisiner, à balayer, à transporter de l’eau et à couper du bois avant d’être obligés de descendre de la montagne. D’autres descendent de leur propre gré avant même d’être prêts.
La vie attend patiemment les vrais héros. Il est dangereux que ceux qui aspirent à devenir des héros n’aient pas le temps de se former. Tant que les héros en herbe ne sont pas parfaitement formés, ils sont tentés d’emprunter les armes du monde – argent, renommée et pouvoir – pour mener leurs combats. Ces armes ne peuvent pas protéger la vie intérieure du héros.
Pour faire face à ses peurs et à ses insécurités, le héros qui descend de la montagne avant d’avoir achevé sa formation se sent obligé de rester occupé tout le temps. La capacité de destruction de l’activité incessante rivalise en puissance avec les armes nucléaires, et elle est aussi addictive que l’opium. Elle annihile la vie de l’esprit.
Les faux héros, eux, trouvent qu’il est plus facile de faire la guerre que de s’occuper du vide de leur propre âme. Ils peuvent se plaindre de ne jamais avoir le temps de se reposer, mais la vérité est que, s’ils avaient le temps de se reposer, ils ne sauraient pas quoi faire.
Les gens d’aujourd’hui ne savent pas se reposer. Ils remplissent leur temps libre d’innombrables divertissements. Les gens ne peuvent tolérer même quelques minutes de temps libre.
Ils doivent allumer la télévision, prendre un journal, lire n’importe quoi, même les publicités. Ils ont constamment besoin de quelque chose à regarder, à écouter ou à parler, tout cela pour empêcher le vide intérieur de montrer sa tête terrifiante.
Les gens d’aujourd’hui pensent qu’ils sont de vrais héros parce qu’ils sont très occupés, mais si nous pouvions voir leur vie intérieure, nous assisterions à la désolation. Les héros d’aujourd’hui descendent de la montagne avec l’intention de transformer le monde, mais ils se retrouvent rapidement submergés. Sans résolution farouche et une vie spirituelle mûre, les démons privés ne peuvent pas être contrôlés.
Gathas* pour la vie quotidienne était comme un manuel de stratégie pour les héros en devenir.
Il était remis aux novices lorsqu’ils entraient au monastère. On nous demandait de le garder à portée de main à tout moment, et même de l’utiliser comme oreiller la nuit. Les versets qu’il contient nous enseignaient comment garder notre esprit présent afin de nous observer tout au long des actions ordinaires de la vie quotidienne: manger, boire, marcher, se tenir debout, se coucher et travailler.
C’était aussi difficile que de chercher un buffle égaré en suivant ses traces en zigzag. Il n’est pas facile de suivre le chemin du retour dans son esprit.
L’esprit est comme un singe se balançant de branche en branche. Ce n’est pas facile d’attraper un singe. Vous devez être rapide et intelligent, capable de deviner sur quelle branche il va basculer. Ce serait facile de tirer, mais l’objectif ici n’est pas de tuer, menacer ou contraindre le singe. L’objet est de savoir où il ira ensuite pour rester avec lui.
Ce petit livre composé de versets à utiliser au quotidien nous fournissait des stratégies. Les vers étaient simples, mais remarquablement efficaces. Ils nous apprenaient à observer et à maîtriser toutes les actions du corps, de la parole et de l’esprit.
Par exemple, lorsque nous nous lavons les mains, nous nous disions:
Me lavant les mains à l’eau claire,
Je prie pour que tout le monde ait les mains pures
pour recevoir et prendre soin de la vérité.
L’utilisation de tels gathas* encourage la clarté d’esprit et la conscience, rendant sacrées les tâches les plus ordinaires. Aller aux toilettes, sortir les poubelles et couper du bois deviennent des actes empreints de poésie et d’art.
Même si vous avez la persévérance de vous asseoir pendant neuf ans face à un mur, l’assise n’est qu’un aspect du Zen. Tout en cuisinant, en lavant la vaisselle, en balayant, en transportant de l’eau ou en coupant du bois, vous pouvez aussi demeurer profondément dans le moment présent.
Nous ne cuisinons pas pour avoir de la nourriture à manger. Nous ne faisons pas la vaisselle pour avoir une vaisselle propre. Nous cuisinons pour cuisiner et nous lavons la vaisselle pour laver la vaisselle.
Le but n’est pas d’éliminer ces tâches dans le but de faire quelque chose de plus significatif. Faire la vaisselle et cuisiner sont eux-mêmes le chemin de la bouddhéité. La bouddhéité ne vient pas de longues heures d’assise.
La pratique du zen est de manger, de respirer, de cuisiner, de porter de l’eau et de frotter les toilettes – d’insuffler chaque acte de son corps, de sa parole et de son esprit – de manière à illuminer chaque feuille et chaque galet, chaque tas de déchets, chaque chemin qui conduit au retour de notre esprit à la maison.
Seule une personne qui a compris l’art de cuisiner, de laver la vaisselle, de balayer et de couper du bois, qui est capable de rire des armes du monde, de la gloire et du pouvoir, peut espérer descendre la montagne en héros. Un héros comme celui-là traversera les vagues du succès et de l’échec sans s’exalter ni couler. En fait, peu de gens le reconnaîtront comme un héros.
écrit par Thich Nhat Hanh
- Gatha: Les gathas sont de courts poèmes qui aident en ramener l’esprit à l’action que le jeune moine, la jeune moniale ou tout pratiquant est en train d’accomplir. Ils expriment la poésie de la vie quotidienne
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