Par Sœur Chân Duc, Soeur Vraie Vertu
Lors de la retraite de 21 jours 2018 au Village des Pruniers, des membres de la Sangha des Earth Holder, ont invité Sœur Chân Duc, Soeur Vraie Vertu, à parler des moyens de faire face aux souffrances liées au réchauffement climatique, de rester forts et de devenir une ressource pour soi, sa famille et sa communauté.
Ma pratique consiste à prendre soin de la Terre tous les jours: ma façon de marcher sur Terre est la meilleure façon de le faire, car elle établit une relation entre moi et la Terre. En marchant, je ne vois pas la Terre comme quelque chose en dehors de moi, comme une simple matière, mais comme quelque chose de vivant. la Terre fait partie de moi et je fais partie d’elle.
Je pense que cette relation est très importante pour quiconque veut prendre soin de la Terre. Sans connection avec elle, nous ne pouvons pas commencer à guérir la terre et à nous soigner nous-mêmes. La Terre fait de son mieux. La vie sur Terre est quelque chose de très puissant. Ce que nous appelons la Terre c’est la vie sur Terre, car sans vie sur Terre, la Terre n’est pas vraiment la Terre. Nous parlons d’un manteau vert, mais c’est vraiment la Terre elle-même. Et bien sûr, l’air est aussi la Terre.
Thây a été le premier maître bouddhiste à parler de Gaia, la Terre mère, comme d’un bodhisattva devant lequel nous nous prosternons lors des cérémonies, de la même manière que nous nous prosternons devant Manjushri, le bodhisattva de grande compréhension ou Avalokiteshvara, le bodhisattva de grande compassion. Nous avons alors initié une relation spirituelle avec notre mère la Terre. Nous n’avions jamais parlé de cela auparavant. Nous voyons maintenant la Terre Mère comme un Bodhisattva, nous avons également une relation affective avec elle. Nous la voyons comme notre mère – quelqu’un dont nous devons prendre soin et et que nous devons protéger.
C’est cette nouvelle façon très fondamentale d’établir des relations avec la Terre qui aidera le plus les êtres humains à prendre soin de la Terre. Nous pouvons avoir de nombreux plans et de nombreuses méthodes de prendre soin de la Terre, mais si nous ne modifions pas notre relation fondamentale avec elle, les plans, les méthodes ne pourront pas être fructueux.
Les humains se considèrent comme extérieurs à la Terre – ils pensent qu’elle est là pour nous, pour que nous puissions l’exploiter, pas pour que nous l’aimions et la respections en tant que mère. C’est pourquoi, chaque jour, quand je vois la Terre, je me dis et je dis à la Terre: “notre mère la Terre, vous faites de votre mieux et je vous en suis très reconnaissante.» Lorsque des catastrophes se produisent, je sens que notre mère la Terre souffre et je vois les causes et les conditions sous-jacentes à ces catastrophes. La souffrance de la Terre nourricière inter-agit avec la souffrance de ses enfants. Quand nous souffrons, elle souffre aussi.
Les actions guérissantes génèrent véritablement de l’énergie
Lorsque vous êtes dans ce type de relation avec la Terre Mère, toute activité publique que vous accomplissez en pleine conscience avec compassion et avec amour est utile. Même si vous ne voyez aucun résultat, vous envoyez tout de suite une énergie saine lorsque vous pratiquez la méditation marchée avec compassion. La vue juste c’est la compréhension que la Terre et les êtres humains ne font qu’un, que nous sommes des enfants de la Terre. Tout comme l’énergie de la chaleur, cette énergie saine ne peut jamais être perdue. Aucune sorte d’énergie ne peut être perdue; c’est la loi de la thermodynamique. C’est aussi la loi de l’inter-être et la vérité de l’absence de naissance et de mort.
Quelle que soit notre activité, si nous ne regardons que la dimension historique, il peut sembler qu’elle ne rencontre pas de succès – par exemple, nous avons été emprisonnés – mais tant qu’il y a de l’amour, de l’harmonie et de la compassion lorsque nous agissons, nous avons déjà réussi. Ce que nous faisons a généré une énergie positive.
Maintenir la fraîcheur et la stabilité
Nous pouvons aller dans un monastère afin de nous ressourcer, afin de voir qu’il y a des gens qui se soucient de nous; il y a des gens qui travaillent consciencieusement au nom de la Terre et se sentent un avec elle. Nous pratiquons au monastère ou faisons une retraite pour ne pas nous épuiser et ne pas nous sentir désespérés
C’est merveilleux de toucher la Terre; la pratique de la prosternation. Nous pouvons nous installer devant un arbre ou une montagne pour pratiquer et sentir la force et le pouvoir de la nature qui nous pénètre. Vous pouvez aussi utiliser le livre de Thay, Conversations intimes avec le Bouddha, pour vous entraîner.
Impermanence
J’aimerais parler de l’impermanence. Lorsque je dis cela, les gens sont parfois malheureux, mais c’est la vérité: la Terre est impermanente. Il viendra un temps où la vie sur Terre disparaîtra. C’ est vrai et nous devons l’accepter. Cela ne veut pas dire que le moment est venu. Nous avons encore une chance, mais pour ce qui est d’accepter l’impermanence, nous pouvons faire des progrès.
Tout comme nous pratiquons la méditation sur l’impermanence sur notre propre personne:
En inspirant, je suis conscient de mes yeux
En expirant, je suis conscient que mes yeux sont impermanents,
nous devons également méditer pour notre pays et notre Terre:
En inspirant, je suis conscient de mon pays
En expirant, je suis conscient que mon pays est impermanent.
En inspirant, je suis conscient de la Terre Mère.
En expirant, je suis conscient que la Terre Mère est impermanente.
De toute évidence, l’énergie générée par la Terre Mère ne peut pas totalement disparaître. D’un côté, la Terre mère est impermanente et lorsque nous voyons cela, cela renforce notre aspiration à prendre soin d’elle. D’autre part, cela nous met en contact avec la réalité, ce qui signifie que nous sommes capables d’accepter tout ce qui se passe, sans pour autant nous sentir désespérés, car tout est impermanent.
Nous méditons sur l’impermanence parce qu’elle nous aide à prendre soin de la Terre, à être plus motivés et à mieux aimer la Terre dans le moment présent. Nous pouvons faire une méditation marchée et être en contact avec la Terre Mère plus souvent. Les causes et les conditions qui ont permis l’émergence de la vie humaine sont maintenant menacées. C’est une partie importante de notre méditation sur l’impermanence:
En inspirant, je vois que l’espèce humaine est impermanente.
En expirant, je souris à l’impermanence de l’espèce humaine.
C’est vrai; nous sommes impermanents et si nous ne prenons pas soin de nous-mêmes et ne nous développons pas dans la bonne direction, nous disparaîtrons très vite.
Pratiquer avec la colère et le désespoir
C’est tellement important de sortir de nos têtes et de retourner dans nos cœurs. Les pratiques de toucher la Terre, de méditation quotidienne et de voir que la Terre est quelque chose de vivant, et pas seulement une matière, peuvent nous aider à le faire.
Si vous étudiez la physique des particules, vous constaterez que tout est probabilité. Il n’existe pas nécessairement de ligne directe entre les points A et B en ce qui concerne le bien-être ou la maladie de la Terre Mère. Nous ne pouvons pas prévoir le futur. La science peut nous dire beaucoup de choses mais elle ne peut pas prédire l’avenir. Par conséquent, il est important d’être en contact avec la Terre Mère telle qu’elle est tous les jours, telle qu’elle est en ce moment précis. C’est ce que nous faisons en ce moment qui fait le futur. Si nous le faisons bien maintenant, l’avenir sera tel. Si nous le faisons mal maintenant, l’avenir sera différent.
Pratique centrée sur le cœur: une occasion de transformation
Nous pouvons pratiquer la confiance. L’énergie d’une pratique spirituelle prendra soin de nous – nous protègera. Et cela protégera également la Terre. Si chaque jour nous suscitons une énergie de désespoir, de frustration, de colère… nous ne sommes bons ni pour nous-mêmes, ni pour la Terre.
Il y a des gens qui militent depuis longtemps et qui sont pris au piège d’un «mode militant» – c’est dangereux. Ils se sont battus toute leur vie depuis leur jeunesse, ils ont maintenant entre 60 et 70 ans et ils se battent encore. D’une part, nous leur sommes reconnaissants de rester sur des campements pendant des années et des années. Mais tant qu’ils sont là-bas, ils n’ont pas l’aliment de la joie et de la paix et ça devient une habitude pour eux de toujours se battre, de s’opposer, de se sentir toujours combattus et d’avoir l’impression que personne ne se soucie de rien. Nous devons faire très attention à prendre soin de nous en tant que militant et cela nécessite une pratique spirituelle qui nous nourrisse.
Nous devons aussi gérer les formations mentales du désespoir et de la colère, car lorsque notre esprit est désespéré ou en colère, il n’est plus clair. Nous n’avons alors plus aucun moyen d’agir de la bonne façon, ou de voir ce que nous devrions faire ou ne pas faire quand nous souffrons de ces formations mentales. Notre esprit est aussi un environnement, un environnement intérieur, et les environnements extérieurs et intérieurs inter-sont.
Sœur Vraie Vertu ou Chân Đức, en vietnamien, est née en Angleterre. Elle est disciple de Thich Nhat Hanh depuis 1986 et, en 1988 en Inde, elle est devenue la première femme d’Europe occidentale à être ordonnée moniale par Thich Nhat Hanh. C’est une enseignante du Dharma très appréciée, elle voyage beaucoup, dirigeant des retraites de méditation et inspirant de nombreuses personnes avec son style d’enseignement unique. En 2000, elle est devenue la première religieuse occidentale / européenne à enseigner le Dharma bouddhiste en Thaïlande. Elle est actuellement doyenne de la pratique à l’Institut Européen du Bouddhisme Appliqué en Allemagne
Et pour connaître le point de vue de Thich Nhat Hanh sur les questions d’écologie, vous pouvez lire ceci
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