Extrait de l’enseignement offert par Thây Phap Hai le 11 Juillet 2019 au Hameau du Haut du Village des Pruniers
C’est une bénédiction de pouvoir être là, assis, avec vous tous. Je dois reconnaître que j’aime particulièrement revenir à la source des enseignements du Bouddha et aujourd’hui, j’ai envie de vous parler d’un soutra issu du Majima Nikaya, les discours de longueur moyenne. Pour ceux d’entre vous que cela intéresse, il s’agit du soutra numéro 32. Dans ce soutra, les disciples les plus avancés dans la pratique sont en train de partager et ils se demandent quel pratiquant, quel genre de pratiquant, illumine la forêt. En effet, le soutra prend place alors que les moines demeurent dans une très belle forêt, la forêt de Kosinga. Ce que je trouve intéressant dans ce texte, c’est que les disciples avancés y décrivent le pratiquant capable d’éclairer la forêt. Ananda, le disciple que nous connaissons pour ce que nous appelons une mémoire photographique, qui se souvenait de tous les enseignements du Bouddha, Ananda, donc, dit que le pratiquant qui illumine la forêt est celui qui entend les enseignements et s’en souvient.Et tous les moines trouvent que c’est une bonne réponse. Reata, un autre moine, prend la parole et dit : « Moi, je suis un ermite, et j’aime pratiquer la méditation seul. Pour moi, celui qui illumine la forêt, c’est le pratiquant qui est toujours en retraite, qui pratique toujours la méditation dans la solitude ». Et ainsi de suite. Chacun des disciples soulignait un aspect ou un autre dans leur pratique : celui qui retient les enseignements, le guide de la communauté, le plus sage, etc. Donc chacun de ces pratiquants partageait que le pratiquant idéal, c’est quelqu’un qui fait la même chose que lui. Nous faisons la même chose, nous pensons que le pratiquant idéal, c’est celui qui fait exactement ce que nous pensons qu’il faut faire. Après cette discussion, un des moines présents a dit : « Vous savez, toutes ces opinions sont intéressantes, mais pourquoi n’irions nous pas demander l’avis du Bouddha ? »
« Nous avons partagé et nous avons une question : quelqu’un qui se souvient des enseignements, quelqu’un qui médite, quelqu’un qui vit très simplement, ce sont tous d’excellents pratiquants, mais lequel est le meilleur, Bouddha ? » Et le Bouddha a répondu : « En effet, tous ces pratiquants sont excellents, mais pour moi, quelqu’un qui se contente de suivre le chemin spirituel tel qu’il se déroule devant lui, c’est lui, le pratiquant qui éclaire la forêt. »
Pour moi, c’est un appel à reconnaître que le Bouddha nous invite à investir tout notre être dans notre propre pratique. Nous n’avons pas besoin de devenir quelqu’un ou quelque chose d’autre. Regardons nos propres penchants, et amenons y la pratique. Permettons leur de briller. Nous n’avons pas besoin de devenir quelqu’un d’autre. En réalité, la pratique de la Pleine Conscience nous invite à devenir plus pleinement nous même au delà de ce que nous appelons « moi, je, mien », toutes ces choses auxquelles nous nous identifions.
Un des enseignements les plus frappants que j’ai reçu dans ma vie spirituelle, je l’ai reçu de Thay Giac Thanh qui vivait ici il y a de nombreuses années. Il enseignait les manières raffinées aux novices dont j’étais. Et ceux qui l’ont connu trouveront sans doute cela étonnant car c’était un vrai maître zen. Il a partagé avec nous quelque chose que j’ai gardé dans mon cœur tout au long de ces années. Il nous a dit : « Chers novices, je veux partager quelque chose avec vous en tant que grand frère. Tout ce que vous faites en pratiquant la pleine conscience, ne le recouvrez de cloches et d’encens. Soyez absolument authentiques par rapport à où vous en êtes de votre chemin à ce moment précis. »
On peut se poser beaucoup de questions et on m’en pose beaucoup et une de celles qui reviennent le plus souvent c’est : « Pourquoi est ce que vous vous êtes intéressé au Bouddhisme ? » Je pense que c’est une bonne question et il y des milliers de façon d’y répondre. Mais ce que j’aime répondre, c’est que quand j’étais enfant, j’étais un vilain garçon et on n’arrêtait pas de me dire qu’il fallait que je me réveille. Le Bouddhisme est donc parfait pour moi, car le Bouddhisme c’est le chemin de l’éveil. Je crois que la graine a été arrosée chez moi de cette façon : tu dois te réveiller ! Ok ! Je vais pratiquer le Bouddhisme, la voie de l’éveil.
Je voudrais poser une question à tous ceux qui sont là, une question que je trouve très importante, parce que quand on dit que le Bouddhisme c’est la voie de l’éveil, c’est un concept. La question que je vous pose c’est : à quoi devez vous vous éveiller ?
Je pense qu’on doit se poser cette question tous les jours ! Quels sont les endroits que je dois regarder, quels sont les domaines dans lesquels je suis aveugle ? Quelles sont les choses que je ne veux pas voir ? C’est en faisant cela que notre chemin peut nous transformer, être unique et produire la sagesse que nous portons en nous mêmes plutôt qu’être un chemin d’évitement, consistant juste à chercher le confort.
Un jour, je prenais le thé avec Thay et il m’a dit : « Frère Phap Hai, avec la pleine conscience, tout est Dharma, tout peut être un enseignement. »
Depuis, j’aime garder mes antennes en éveil, où que je sois. Il n’y a pas très longtemps, en fait il y a 4 ans, la dernière que je suis venu au Village des Pruniers, on m’a demandé d’aller en Irlande pour aider à faciliter des retraites avec des frères et sœurs. En arrivant à l’aéroport, l’officier de l’immigration m’a demandé si c’était ma première visite en Irlande et je lui ai répondu « Oui, qu’est ce que vous pensez que je devrais voir ? » Il m’a répondu « Oh, Dublin et l’Irlande sont remplis de belles choses ! »
C’est un enseignement très profond. Beaucoup d’entre nous venons à la pratique de la pleine conscience parce que nous souffrons et nous voulons transformer la situation dans laquelle nous nous trouvons et nous perdons de vue cet enseignement essentiel du Bouddha qui est qu’en effet, la souffrance existe, mais qu’il y a aussi toutes ces belles choses, cette bonté innée qui réside au cœur de nous et que nous appelons la nature de Bouddha. Oui, la souffrance existe, mais il y a aussi cet espace en nous qui est libre, ouvert, qui n’est pas obstrué et la méditation tout comme la pratique de la pleine conscience consiste à dévoiler, à révéler ce qui est déjà là. Ce n’est pas quelque chose qui tombe du ciel, c’est quelque chose qui est déjà au fond de nos cœurs.
Une des pratiques anciennes que nous avons oublié à notre époque apparaît dans les 3 remémorations, celle du Bouddha, du Dharma et de la Sangha. Le Bouddha en ajoutait souvent une quatrième, celle de nos propres capacités, remémoration de notre propre bonté innée. Je pense que c’est vraiment un médicament pour notre époque et nous y sommes assez hostiles. Nous avons tendance à regarder ce qui ne va pas, ce qu’il faut réparer, à regarder notre souffrance sans penser à voir ce qui est libre, ouvert, compatissant.
Quand le Bouddha a eu son expérience d’éveil, quand tout s’est dévoilé pour lui, il y a une légende que j’aime beaucoup, selon laquelle le Bouddha aurait dit « c’est étrange, chaque être vivant a cette capacité, cet espace en lui qui est ouvert, qui est libre, sage, non obstrué… » Notre pratique consiste à dévoiler cet espace.
C’est un déplacement radical de perspective qui demande que nous passions de ce qui cassé, pas valable et qui a besoin d’être réparé à ce qui beau et déjà là.
Notre esprit a tendance subtilement, à chercher le confort et à ne répondre aux défis d’aucune façon. C’est le point de départ du chemin, générer cette sensation d’aise mais ce serait dommage pour nous de nous arrêter là parce que c’est la fondation qui nous autorise à élargir notre point de vue, à regarder profondément, à nous transformer.
Dans la tradition, on n’appelle pas les monastiques des monastiques, on les appelle « ceux qui ont quitté leur foyer ». Donc, sur le plan superficiel, bien sûr nous avons quitté notre foyer matériel mais au niveau plus profond, nous sommes invités à reconnaître les endroits que nous cachons, cette pièce dont nous avons fermés les portes et les fenêtres et où nous ne voulons laisser entrer la Vie avec un V majuscule.
Je crois vraiment que chacun d’entre nous en tant que pratiquants, nous sommes invités à trouver notre vraie demeure, qui est différente de cette pièce d’évitement, ce lieu de confort.
En 2000, Thay m’a dit : « Frère Phap Hai, s’il te plait arrête de courir en rond à la recherche de petits conforts, de quelqu’un qui te comprenne, de ceci ou de cela et cherche le confort véritable, goûte le confort véritable. » En tant que pratiquants de la méditation nous pouvons avoir cette tendance à l’évitement. La pleine conscience pratiquée correctement génère naturellement une énergie appelée Dharma Vijara, investigation. Frère Hue Truc traduit souvent ce concept d’une façon que je trouve très juste, il utilise le mot « curiosité ». On devient curieux, la pleine conscience n’est donc pas passive. C’est plutôt une manière active d’entrer en contact avec la vie telle qu’elle est en nous et autour de nous sans essayer de changer quoi que soit, mais se montrer présent à notre propre vie. Alors, vivre notre quotidien, nos pas, le contact avec le coussin, avec la salle de méditation, toutes ces choses ordinaires deviennent extraordinaires, incroyables.
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