Thay phap Huu est né au Vietnam. Il est parti au Canada avec sa famille lorsqu’il avait trois ans. Ordonné en 2002 à l’âge de 14 ans, il est devenu vice-abbé du Hameau du Haut du Village des Pruniers en 2008 et abbé en 2011. Pendant une grande partie de sa vie monastique, il a servi d’attendant à Thây quand Thây voyageait. J’ai parlé avec Thay Phap Huu après son retour du festival du film SXSW, où il a aidé à lancer la première mondiale d’un nouveau documentaire sur la communauté du Village des Pruniers : Walk With Me (Marche avec moi).
Quel est le sujet de Walk With Me ?
Le film est une invitation à faire l’expérience de ce qu’est la pleine conscience. Il suit les saisons de la communauté du Village des Pruniers et dresse le portrait de moines et de moniales qui dédient leur vie entière à l’art de la vie en pleine conscience. Les directeurs ont réalisé le film de telle sorte qu’en le regardant vous vous connectez avec quelque chose en vous-même, cette paix, ce calme. L’atmosphère du cinéma est transformée en celle d’une salle de méditation.
Pourquoi le Village des Pruniers s’implique-t-il dans ces projets ?
Nous savons que tout le monde n’a pas l’intention de faire une retraite ou d’aller dans un monastère pour pratiquer. Walk With Me peut toucher des parties importantes de la société où la plupart des monastiques et des Enseignants du Dharma ne pourraient pas aller. C’est comme planter des graines là où nous n’aurions normalement pas l’opportunité de le faire. J’ai le sentiment que son impact va aller très loin.
Comment te sens-tu à propos de la façon dont on te dépeint dans Walk With Me ? Je crois que dans une scène, les réalisateurs te font éprouver un soulagement qui doit être bien léger quand ils te montrent en train de bailler ou ayant l’air un peu ennuyé et distrait lors d’une assise méditative…
C’était la première fois que je regardais Walk With Me au SXSW donc je me sentais un peu nerveux avant, mais après l’avoir vu je suis heureux de la façon dont on me dépeint Je suis heureux qu’ils m’aient filmé à ces moments parce que ça, c’est bien moi. C’est aussi réel qu’on peut l’être ! Nous sommes moines, nous sommes humains, nous allons avoir de ces moments en pratiquant, nous allons avoir ces sentiments. Ce n’est pas comme si nous étions sur-humains, à méditer toute la journée. Je veux toujours que les gens sachent et voient les monastiques aussi comme des humains, pour qu’ils puissent nous soutenir et aussi comprendre notre démarche.
C’était moi il y a 5 ou 6 ans. Je pense que le moi d’aujourd’hui est différent. Mais c’est à travers ces expériences que je suis devenu qui je suis aujourd’hui.
Qu’est-ce que ça te fait de te voir à nouveau avec Thay en tournée ?
Regarder le film a fait remonter beaucoup de souvenirs merveilleux. J’ai ressenti beaucoup de gratitude. Tout d’abord pour mon propre cheminement avec Thay, et ensuite que les réalisateurs du film aient été capables de capturer dans un film ce passé magnifique qui a contribué. à ce que la communauté est dans ce moment présent. Thay est un modèle très important pour notre communauté. Il est important que les générations futures sachent qui il est et d’où viennent les enseignements du Village des Pruniers.
Par le passé tu étais toujours assistant de Thay lorsqu’il voyageait; c’est donc le SXSW qui t’a donné ta première occasion de sortir mener des évènements en tant qu’Enseignant du Dharma. Comment c’était ?
Quand je suis allé au SXSW, il y avait une acceptation en moi du fait qu’un nouveau chapitre s’ouvrait dans ma vie monastique. C’est important parce que ça signifie qu’il y a une acceptation en moi, une volonté d’aller de l’avant, une volonté d’être une véritable continuation de Thay. J’ai senti que je grandissait, que je devenais plus mûr. La réussite de cet évènement m’a donné beaucoup de confiance. Ça m’a aidé à voir que j’ai bel et bien quelque chose à offrir, que je peux continuer Thay, et c’était important pour moi.
C’est toujours effrayant de mener des évènements quand ce n’est pas dans un environnement de pratique. Mener une retraite dans un monastère ou dans un centre de pratique est une chose, mais c’en est une autre de mener un évènement dans un festival du film où beaucoup de gens n’ont aucune idée de qui nous sommes ou de ce que nous faisons. Je me demande comment je peux présenter la pratique d’une façon qui ne donne pas l’impression que nous sommes en train d’imposer nos idées religieuses ou d’offrir quelque chose d’exotique ou d’étranger.
Tu dis que c’est effrayant. De quelle peur s’agit-il ?
Je pense que cette peur vient de mes doutes sur ma capacité à représenter la communauté. J’ai vu de nombreuses fois l’impact que Thay a sur les gens lorsqu’il partage, combien d’espoir et d’aspiration il leur transmet. Alors, moi, je suis là à me demander: est-ce que je peux vraiment faire ça ? Suis-je capable de présenter et d’exprimer les choses comme ça ?
Cette peur vient de ma propre perception de qui je suis. Il faut pratiquer ce que l’on présente, n’est-ce pas, « marcher son enseignement » ? Donc peut-être que des fois je sens que je ne pratique pas ce que je présente, je ne « marche pas mon enseignement » . Je suis dans une position dans laquelle j’enseigne le Dharma, même si je sais que je ne suis pas à 100%. Mais dans mon expérience de moine, de mentor et d’enseignant, je sais qu’apprendre et enseigner vont main dans la main. Je n’enseigne pas seulement aux gens en face de moi ou aux monastiques dans ma classe, je partage pour moi également.
Alors comment as-tu géré ta peur pendant les évènements ?
Je me souviens de mon arrivée, avec six autres frères et soeurs monastiques, avant de mener la marche méditative dans la salle du festival. Nous avons eu le temps de nous asseoir là ensemble et j’ai ressenti leur présence, leur soutien. A l’intérieur de chacun d’entre nous, nous savions que nous étions là pour nous soutenir les uns les autres. Venant de cette compréhension et de cette aspiration nous sommes allés ensemble à chaque évènement, et nous l’avons fait non en tant qu’individus mais comme une communauté. J’ai vraiment senti que quand je menais une activité, je le faisais comme un des membres de la communauté. Je les représente, ils me représentent, et je représente la communauté. Quand j’ai eu cette sensation et cette compréhension, beaucoup de peur et d’anxiété ont disparu.
J’ai invité mon maître, le Thay qui se trouve en moi, à m’aider. Je me souviens disant : “Cher Thay, je suis là en ton nom et au nom de la communauté. Soutiens-moi s’il-te-plait.” Je n’ai vraiment pas senti que je faisais ce que j’étais en train de faire par moi-même – Je suis une continuation.
Comment te vois-tu continuer Thay et réaliser sa vision ?
Thay est un homme incroyable, un visionnaire. Ce qu’il a fait, son héritage. Je ne pense pas qu’une personne seule puisse le continuer. Thay a toujours eu confiance dans sa Sangha. Une façon pour moi de le continuer et d’avoir la même confiance dans la communauté et la direction dans laquelle elle va. Le Village des Pruniers est un refuge spirituel pour moi, pour mes frères et soeurs monastiques, et pour tout un chacun dans le monde.
C’est aussi une communauté dans laquelle vous pouvez entrer en contact avec des humains et toucher votre réelle aspiration. Le Dharma doit être un Dharma vivant, la communauté doit être une communauté vivante, donc vous devez être un pratiquant vivant. Thay est un pratiquant vivant parce qu’il n’abandonne jamais sa pratique et son aspiration. C’est parce que Thay est un pratiquant vivant que nous sommes capables de nous connecter à son aspiration et de la faire nôtre. Je ressens que de continuer Thay, ça veut dire continuer nous-même dans notre aspiration, parce que notre aspiration est reliée à l’aspiration de Thay. Lorsque je fais un pas en pleine conscience et que je fais une respiration en pleine conscience, lorsque que j’offre ma présence en pleine conscience, je sais que je suis en train de continuer Thay.
Pourquoi est-il si important pour toi d’aider à construire ce refuge pour toi-même et pour les autres ? En quoi est-ce connecté à ton aspiration ?
C’est important pour moi parce que c’est ce qui m’a mené dans la communauté. Lorsque j’ai rencontré la Sangha pour la première fois en 1996, je pense que les monastiques ont eu un plus grand impact sur moi que Thay. J’ai vu comme ils étaient frais, heureux et humains. J’ai vu combien d’énergie ils donnaient aux gens et à moi-même. Je me sentais si heureux près d’eux. Même si j’étais un enfant heureux lors de mon ordination, je n’avais jamais vraiment eu cette connexion hors du Village des Pruniers, cette énergie positive. J’ai tout de suite senti que je pouvais prendre refuge dans cet endroit. C’était une sensation qui venait des tripes. Ce n’était pas leurs mots, c’était leur présence, leur façon d’être qui m’attirait. Cela a touché quelque chose de très profond en moi, quelque chose que je continue de toucher depuis mon ordination, et en voyant la croissance de la communauté. Chaque année, plus de gens viennent au Village des Pruniers. Je pense qu’ils viennent aussi à cause de cette énergie, cet amour, cette compréhension. L’énergie collective de pleine conscience que nous produisons ici touche les gens, et je sais que ce n’est pas quelque chose qu’on peut acheter au supermarché. C’est important pour moi de voir cela – je sais que ma pratique n’est pas seulement pour moi mais également pour ceux que j’aime, pour mes frères et soeurs monastiques, et pour tous les gens qui viennent. En tant que membre d’une communauté, j’espère que chacun peut voir qu’il fait partie de la communauté.
Ok, alors quel est le lien entre la marche méditative, notre aspiration et une phrase comme Walk With Me (Marche avec Moi) ?
La marche méditative est une des pratiques clés du Village des Pruniers. Peu importe où vous allez vous devez marcher. Chaque pas que vous faites porte votre sceau. Lorsque vous embrassez la Terre avec vos pieds, vous lui donnez quelque chose. Si vous marchez en étant pressé, avec colère et frustration, vous produisez cette énergie et c’est ce que vous offrez à la Terre et aux gens autour de vous. Si vous pouvez faire des pas paisibles et heureux, ça a un impact différent. Ce n’est pas bouddhiste ou religieux – si vous marchez en paix et en pleine conscience, vous êtes juste un bon être humain. C’est ce que Thay a été capable d’offrir. Lorsque je l’assistais j’ai pu voir qu’il prenait refuge dans ses pas. Dans les moments difficiles, lorsqu’il se sentait submergé ou qu’il avait besoin d’espace, il revenait toujours à la marche méditative. Il le faisait tous les jours, que ce soit avec la communauté ou seul. Ne pensez pas que la marche méditative est seulement pour les débutants. Même pour Thay qui a pratiqué toute sa vie et en tant que maître de méditation, vous devez le faire chaque jour pour maintenir votre vie spirituell
e et cette énergie de pleine conscience en vous.
Nous avons tous l’aspiration, c’est comme un but. Vous pouvez y rêver ou vous pouvez la concrétiser. La marche méditative, c’est la concrétiser. Vous avez une intention, mais l’intention seule ne vous mène pas à la destination. L’intention mène à l’action pour que vous arriviez à la destination. La marche méditative joue ce rôle quand il s’agit de nourrir votre aspiration et votre dimension spirituelle.
Walk With Me est un invitation très claire à marcher sur ce chemin spirituel ensemble. Ici au Village des Pruniers, nous mettons beaucoup l’emphase sur la communauté. Nous cultivons la paix et le bonheur en nous-même mais nous ne le faisons pas en tant que soi séparé. En tant que membre d’une communauté nous savons que nous ne marchons pas seul. L’énergie collective de la Sangha peut avoir un gros impact sur un individu. Notre maître le sait et c’est pourquoi il n’a jamais fait de tournée en tant qu’individu – nous voyageons en communauté. L’enseignement devient tellement plus puissant. Vous ne l’entendez pas seulement – vous le sentez et vous le voyez.
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