Enseignement de Frère Phap Huu
Comment pratiquer la pleine conscience pendant une pandémie mondiale ? Frère Phap Huu, abbé du Hameau du Haut, explique pourquoi s’arrêter peut être difficile et comment des émotions inattendues peuvent surgir lorsque nous sommes contraints de rester immobiles. Il explique comment nous pouvons répondre à nos peurs lorsque nous naviguons entre le confinement et le retour à la vie quotidienne. Il donne également des conseils sur ce qu’il faut faire avec l’énergie de la peur quand elle s’exprime sous forme de racisme et de discrimination.
Pas facile de s’arrêter…
On nous demande de ne pas bouger, de rester sur place et de rester à la maison. Ces instructions semblent assez simples. On ne nous demande pas de rejoindre un champ de bataille, de combattre quelque chose, mais on nous demande simplement de ne pas bouger, de rester chez nous. Mais après quelques mois, je pense que nous avons tous enfin reconnu que rester immobile n’est pas aussi facile que nous le pensons. Nous avons probablement tous eu des moments où nous voulions simplement nous rebeller et sortir et crier, pour faire quelque chose afin de nous sentir à nouveau normaux ou d’avoir l’impression de contrôler la situation. Nous pouvons donc voir qu’il n’est pas aussi simple qu’on le pense de nous demander de rester immobiles et de ne pas bouger.
Rester immobile est tellement nécessaire en ce moment. C’est essentiel car c’est l’un des meilleurs moyens de contribuer à la sécurité de l’ensemble de la collectivité mondiale pendant la pandémie. Une chose qui s’est produite tout au long de cette période est que nous sommes entrés en contact avec davantage d’énergies dormant au fond de nous que d’habitude.
Lorsque vous êtes immobile, vous réfléchissez davantage. Les choses commencent à remonter du passé, de votre héritage ancestral, ou de la société. Pendant cette période, vous pouvez avoir des sentiments ou des expériences qui se manifestent sur le plan émotionnel ou par le biais d’un rêve. Il se peut que vous ne compreniez pas d’où viennent ces sentiments.
Par exemple, au Village des Pruniers, nous avons également été confinés. Nous sommes restés dans nos monastères, mais nous avons un horaire régulier pour maintenir notre énergie de pratique et continuer notre rythme de service. Cependant, j’ai commencé à reconnaître des peurs et différentes émotions qui se manifestaient et qui n’étaient pas là l’année dernière ou il y a quelques mois. Soudain, je me demande, wow, d’où viennent ces émotions ? D’où viennent ces sentiments ? Et en les regardant et en essayant de comprendre, j’ai vu que ce sont des sentiments et des énergies dont on aurait pris soin en interagissant avec des amis ou en sortant pour des retraites. Soudain, nous sommes en quarantaine, et ces émotions commencent à se manifester d’une manière différente. Donc pour moi, au début, j’avais aussi peur de choses dont je n’étais pas conscient, de certaines choses qui se manifestaient simplement. Mais plus vous reconnaissez et comprenez les sentiments, plus vous pouvez les accepter et les embrasser. Il est alors possible de trouver une autre façon de canaliser l’énergie.
La façon dont nous canalisons notre énergie pendant cette période devient un sujet auquel nous pouvons prêter attention. Nos intentions sont très importantes. Si, lorsque nous sortons de l’isolement, la première chose que nous recevons est la peur, alors tout notre émotion est « peur ». Chacun de nous a un bien-être intérieur et la capacité d’être en sécurité. Si nous gardons un état d’esprit fort, nous pouvons conserver notre capacité à être en sécurité et fort, et avoir du bien-être à l’intérieur. Nous n’aurons pas peur de ce qui arrive parce que nous avons une base sur laquelle nous pouvons nous appuyer et sur laquelle nous pouvons construire.
Que consommons-nous ?
L’une des pratiques que nous proposons à tout le monde aujourd’hui consiste à être attentif à la façon dont nous nourrissons nos esprits. Nous pouvons nous demander : « Qu’est-ce que je consomme chaque jour ? Est-ce que cela nourrit mon bonheur ? Est-ce que cela nourrit ma compassion, mon amour ? Ou est-ce que cela nourrit ma peur, nourrit-il plus de discrimination ? » Il est très important de poser ces questions pour sensibiliser les gens. Personne ne peut le faire à notre place. Cela doit venir de notre propre pratique et de nos propres intentions.
Dans le Bouddhisme, nous parlons de conscience mentale et de conscience du tréfonds . La conscience mentale est ce qui se manifeste dans notre vie quotidienne : les émotions, la douleur et les pensées. Cette conscience est comme le salon de notre esprit. En comparaison, la conscience du tréfonds est comme le sous-sol qui contient toutes nos expériences, y compris le passé. Nous appelons toutes les potentialités de la conscience du tréfonds des « graines ». Si, dans la vie quotidienne, ce que nous rencontrons « arrose » des « graines », elles apparaissent alors dans la conscience mentale.
Si nous sommes dans un environnement paisible, alors cette expérience aide à arroser la graine de la paix ou du calme. De même, si nous sommes dans un endroit très fréquenté, cette expérience arrose la graine de l’anxiété ou de la précipitation. Ainsi, notre environnement affecte notre bien-être. Nous pouvons utiliser l’immobilité du confinement pour reconnaître ce qui se prépare et nous entraîner à arroser nos graines de paix.
Une autre partie de la pratique de la pleine conscience consiste à prendre le contrôle de nos choix. Lorsque nous pouvons voir clairement ce que nous faisons, comment cela nous affecte et comment cela affecte les autres, alors nos choix seront plus conscients. Nous verrons qu’une action affecte de nombreuses autres actions. Notre bien-être est le bien-être de beaucoup d’autres. Notre souffrance affecte la souffrance de beaucoup d’autres. Et grâce à cette prise de conscience, nous pouvons également avoir une meilleure compréhension.
Nous avons besoin de pleine conscience
Il y a des défis à relever lorsque nous sortons du confinement. La meilleure façon de gérer une situation sur laquelle nous n’avons pas le contrôle est de se contrôler soi-même. La pratique de la pleine conscience nous aide à apprendre à être conscient de nous-mêmes. Nous devons être attentifs à notre corps. Nous devons être attentifs à notre esprit. Par exemple, nous pouvons nous demander « Où sont mes émotions en ce moment ? Qu’est-ce que je ressens ? Qu’est-ce qui se passe quand je sors de chez moi ? Ce sont les moments où nous avons le plus besoin de nous réfugier dans notre pratique.
Un exercice simple que nous proposons au Village des Pruniers est la respiration consciente. C’est simple, mais tellement puissant, car lorsque nous nous concentrons sur notre respiration, nous voyons soudain que nous ramenons notre esprit à notre corps. Lorsque l’esprits uni au corps, nous pouvons vraiment être dans le moment présent. C’est seulement lorsque nous sommes dans le moment présent que nous pouvons vraiment identifier ce qui se passe en nous et autour de nous.
Comprendre nos peurs
Une chose que nous pouvons ressentir, c’est la peur. La meilleure façon de prendre soin de notre peur est de la comprendre. Tout d’abord, en tant que pratiquant de la pleine conscience, nous devons être capables de revenir à nous-mêmes et de nous poser la question suivante : « S’il y a de la peur en moi, d’où vient cette peur ? » La peur est quelque chose de très réel, et nous devrons tous la reconnaître et en prendre soin. Une partie de notre pratique consiste à identifier d’abord la peur telle qu’elle se manifeste par une prise de conscience et ensuite à reconnaître la source de cette peur.
Dans le Bouddhisme, nous parlons d’ « inter-être », cela signifie que rien n’existe par lui-même. Tout coexiste. La peur est comme ça. Lorsque nous entrons en contact avec notre peur, nous pouvons nous demander : « Cette peur vient-elle de l’intérieur de moi, ou cette peur vient-elle de l’extérieur de moi ? » Si la peur vient de l’extérieur, nous pouvons alors nous demander : « D’où vient l’information ? Quelle est la source ? Et comment cela m’affecte-t-il ? » La pratique de la méditation consiste à revenir à nous-mêmes, au moment présent, et à identifier ce qui se passe. Plus nous pratiquons, plus nous devenons conscients des sources de la peur et de la souffrance. Ensuite, selon vos capacités, vous pouvez en prendre soin. Vous pouvez la gérer et vous pouvez la comprendre. Ce qui est prouvé, c’est que lorsque vous comprenez quelque chose, cela vous fait moins peur.
Ces temps sont uniques. Il y a la peur du virus, qui pourrait encore nous infecter ou infecter nos proches. C’est une réalité, et nous devons en être conscients. Il existe déjà des conseils clairs et utiles sur la manière de se protéger et d’être en sécurité.
Ce qui me semble important en ce moment, c’est de reconnaître que je ne suis pas le seul à vivre dans la peur, beaucoup de gens vivent aussi dans la peur. Si nous continuons à nous inquiéter et à arroser ces graines dans notre esprit, sans vue juste, sans regard juste, sans conscience juste, nous continuerons à contribuer à cette peur et la peur contribuera alors aussi à la discrimination, et pourrait même contribuer au racisme. Nous avons vu cela se produire au cours des derniers mois. Beaucoup de haine, de colère et d’autres émotions fortes prennent le dessus, poussant les gens à se comporter d’une manière différente de leur comportement habituel. C’est dû à la peur.
Faire face à l’incertitude
Pour ceux d’entre nous qui ont perdu leur emploi ou qui se trouvent dans une situation difficile à cause de cette pandémie, la peur sera l’un de nos plus grands défis. Il est important de s’asseoir et d’identifier nos craintes et leurs sources, plutôt que de laisser la peur prendre le dessus et perturber notre bien-être tout entier. Plus nous identifierons nos craintes, plus nous les comprendrons et moins nous en aurons peur, même si nous n’avons peut-être pas encore de réponse ou de solution. Mais le simple fait de la comprendre nous permettra de prendre des mesures plus claires pour ne pas devenir victime de cette peur. Après la levée du confinement, nous devrons continuer à regarder notre peur. Cela inclut la peur de l’inconnu, du virus, de la direction que prend la société et de la manière dont notre société va se remettre sur pied.
La peur est une émotion, une énergie, et nous avons beaucoup d’autres énergies en nous. L’attention, la stabilité et la clarté sont également des types d’énergie. Nous pouvons les nourrir dans notre vie quotidienne en pratiquant la pleine conscience pour être prêts à affronter la peur. Par exemple, lorsque nous embrassons la peur et que nous nous ouvrons à sa présence, nous pouvons utiliser l’énergie de la pleine conscience pour aider à transformer la peur. En temps de crise, il est particulièrement important de prendre soin de notre énergie et de notre bien-être.
Comment affronter la discrimination?
Un de mes amis m’a demandé ce qu’il fallait faire face à la discrimination, à l’ignorance ou à la haine. Doit-il se lever et se battre, ou être en paix et ne rien faire ? C’est quelque chose de vraiment réel. Cette question m’a un peu secoué. Je comprends que la discrimination, le racisme et la violence apparaissent ici et là dans la société actuelle à cause de la peur.
La première chose que je lui ai dite, c’est : « wow, je souffre comme vous, votre souffrance est aussi la mienne ». La discrimination n’est pas une affaire individuelle, c’est une affaire collective. La deuxième chose que je lui ai dite, c’est qu’agir avec attention et compassion ne signifie pas que nous tolérons tout.
Au contraire, l’attention et la compassion nous permettent de voir ce qui est bien et ce qui est mal. Si vous vous trouvez à un arrêt de bus et que vous êtes témoin d’un acte de discrimination ou de racisme, si vous avez la capacité de contribuer à protéger cette personne, de ramener la victime dans un endroit plus sûr, alors faites-le. Veuillez le faire en fonction de vos capacités. C’est une bonne action. C’est une action de compassion. Ne laissez pas cela devenir un incident de plus grande violence dont les deux parties souffriront, en particulier la victime. Il est essentiel que nous agissions chacun selon nos capacités individuelles et que nous réfléchissions régulièrement à ce que sont ces capacités. C’est l’action juste et compatissante.
Sur le plan spirituel, nous devons prendre soin de nous-mêmes après l’incident. Comment prendre soin de ces sentiments par la suite ? Je lui ai dit que nous devons considérer que la violence est due à l’ignorance qui s’est manifestée, à une opinion que cette personne avait, il peut s’agir d’une opinion très erronée et donc cette personne s’est comportée de cette manière. Et si nous pouvons voir au-delà de l’action, nous pouvons avoir un peu de compassion et une certaine compréhension va grandir dans notre cœur. Cela vous permettra de prendre soin de ces émotions et de ne pas laisser cet incident arroser plus de haine, arroser plus de violence ou beaucoup plus de colère en vous.
C’est ce que nous devons faire en tant que praticien de la pleine conscience, surtout si nous sommes un étudiant de Thich Nhat Hanh ou si nous avons reçu les 5 ou les 14 entraînements à la pleine conscience ou si nous sommes membre d’une communauté bouddhiste ou d’une communauté spirituelle où nous savons que la violence n’est pas notre voie et que la non-violence est notre boussole. Nous devons avoir la perspicacité nécessaire pour protéger notre cœur, pour protéger notre aspiration et pour protéger notre amour, notre paix, ainsi que pour protéger la conscience collective de la société.
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