Notre maître, Thich Nhat Hanh, explique la différence entre la hiérarchie et l’autorité spirituelle et comment ne pas se laisser prendre dans la forme afin de montrer son respect.
Propos recueillis lors d’une session de ‘questions / réponses’, le 20 juin 2002.
Question : Cher Thây, dans la plupart des pays d’Asie, il semble très naturel d’avoir et d’exprimer son respect pour ses enseignants, ses ancêtres, ses aînés. Cela ressort également dans la communauté monastique et dans l’Ordre de l’Inter-Être ; ceci était tout à fait visible lorsque nous étions assis ce matin lors de la cérémonie. Cependant, dans le monde occidental, nous semblons être souvent bloqués par la peur de la hiérarchie. Nous avons des formations mentales à ce sujet, probablement liées aux notions de ‘plus que’, ‘mieux que’, ‘moins que’ ou ‘pareil que’. Pourriez-vous donc nous expliquer la différence entre la séniorité telle qu’elle est pratiquée au Village et la hiérarchie ?
Réponse : Un bon enseignant, un véritable grand frère ou une authentique grande sœur dans le Dharma a toujours une autorité spirituelle en lui ou en elle. L’autorité spirituelle n’est pas l’autorité [au sens du pouvoir]. C’est grâce à votre pratique et aux fruits de votre pratique que vous inspirez une sorte de respect et d’amour. Ce respect et cet amour ne peuvent être obtenus uniquement par le fait d’être depuis longtemps dans la tradition. Donc l’autorité spirituelle signifie qu’il y a de la compréhension, de l’amour. Et cela pousse les gens à s’incliner, à vous aimer, à vous respecter, mais non pas parce que vous êtes entré dans la sangha avant eux. Cette autorité spirituelle ne peut pas être authentique / vraie s’il n’y a pas d’amour bienveillant, de compassion ou de compréhension en elle. Parfois, nous ne sommes pas capables de toucher la bienveillance, l’amour et la prévenance de l’autre personne. Nous pensons que ces choses sont absentes de cette personne, c’est pourquoi nous avons tendance à ne pas la respecter, à ne pas l’aimer. Mais Il devrait y avoir des moyens de reconnaître et de toucher les graines d’amour et de compassion chez les autres, en particulier chez ceux qui sont plus âgés que nous.
Premièrement, respectez vous
Si vous ne vous respectez pas, si vous ne vous aimez pas, il vous sera difficile d’aimer et de respecter quelqu’un d’autre, même si cette personne est au dessus de vous dans la hiérarchie, un grand frère, une grande sœur dans le Dharma, un enseignant. Si vous savez regarder profondément en vous, vous verrez tous vos ancêtres à l’intérieur, avec toute leur force, leur faiblesse, et vous traiterez votre corps et votre conscience avec respect. Mais parce que vous êtes pris dans l’idée que ce corps est vous, que cet esprit est vous, vous sous-estimez la valeur de vous-même. Vous avez tous les ancêtres en vous, avec leur force, leurs expériences.
Ainsi, lorsque vous êtes libéré de la notion de soi, lorsque vous pouvez voir votre corps et votre esprit comme un courant d’être, que tous vos ancêtres, y compris les plus brillants et les plus compatissants, sont en vous, vous commencez alors à traiter votre corps et votre esprit avec beaucoup plus de respect. Vous ne commettez plus d’acte blessant envers votre corps, votre esprit, votre conscience.
Le respect dans la vie quotidienne
À ce moment-là, il n’est plus difficile pour vous de montrer votre respect à vos aînés dans la sangha. Je pense qu’en Occident, il existe encore de nombreuses cérémonies organisées qui nous donnent l’occasion de nous incliner devant l’esprit de notre pays, de notre peuple, de nos ancêtres. Quand une personne meurt, nous venons partager notre affection, notre amour, et nous respectons des minutes de silence. Ce désir de montrer du respect, de montrer de la considération, est toujours là, vivant. Lorsque vous saluez le drapeau de votre nation, que vous restez immobile et que vous écoutez l’hymne, le chant national, vous montrez votre respect pour les générations précédentes d’ancêtres qui ont préparé le pays, qui ont mis beaucoup d’énergie et de temps à construire ce pays pour que vous puissiez y vivre. Ce genre de conscience, ce genre de reconnaissance, ce genre de gratitude est présent en vous. Vous ne pouvez pas dire que ce n’est pas le cas. Ainsi, en pensant à nos ancêtres spirituels et de sang qui ont tant fait pour que la vie soit de plus en plus facile, nous sommes inspirés par ce genre de gratitude, ce genre d’amour. Nous devrions organiser davantage d’occasions comme celle-ci pour que nos enfants puissent exprimer ce genre de gratitude.
Par exemple, avant de déjeuner, nous pourrions consacrer une minute ou deux pour inspirer et expirer et regarder la nourriture. Et cette nourriture, ce plat qui est sur la table devant vous, provient d’une tradition culinaire. De nombreuses grand-mères, de nombreuses mères, nous ont transmis cette recette. Lorsque nous regardons avec cette conscience, l’amour et la gratitude surgissent soudainement.
Le respect dans les traditions spirituelles
Dans les traditions spirituelles, c’est la même chose. Il y a de nombreux enseignants qui ont consacré du temps et de l’énergie à pratiquer, à découvrir, à mettre en place les bases de la pratique. Si nous en sommes conscients, tout à coup notre amour, notre respect se manifestent naturellement. Les grands frères et les grandes sœurs qui sont encore jeunes appartiennent aussi à la catégorie des ancêtres. Donc, lorsque vous témoignez du respect à l’un/l’une d’entre eux/elles, ce n’est pas seulement à lui/elle, mais à tous les ancêtres qui leur ont précédé. C’est pourquoi le respect des aînés est possible même lorsqu’un aîné a encore beaucoup de défauts.
Quand je regarde un jeune disciple, je regarde aussi de cette façon. Je ne regarde pas le jeune disciple de haut. Je peux voir en lui ou en elle la présence de tous nos ancêtres ; j’ai un profond respect, j’ai confiance en lui, j’ai confiance en elle. Et je peux dire que lorsque je m’incline devant lui ou devant elle, même s’il ou elle n’a que quatorze ou quinze ans, je m’incline vraiment avec respect. Pas à cause de son âge, mais à cause de la présence de tous les ancêtres et de toute la compréhension et l’expérience des ancêtres en lui ou en elle. J’ai vraiment confiance. Ainsi, non seulement je m’incline devant mon aîné avec cette attitude, mais je m’incline également devant la jeune génération avec ce même genre de respect et de gratitude. Et grâce à cela, je ne souffre pas, je sens que la communication est facile.
Nous devons donc apprendre à pratiquer sérieusement le fond [le sens] et ne pas nous contenter d’imiter la forme. La forme n’est pas suffisante. Lorsque vous touchez la terre, vous rendez hommage à quelqu’un. Si vous le faites uniquement pour la forme, cela ne sert pas à grand-chose. Il faut donc, pendant que vous faites cela, vous concentrer sur le contenu [le sens]. Lorsque j’étais un jeune moine, je n’aimais pas que certaines personnes s’inclinent devant moi, parce que je voyais que ma vertu, mes mérites n’étaient pas assez grands pour que quelqu’un s’incline comme cela. Mais j’ai changé et maintenant je dis que nous devons permettre à la personne de faire trois révérences profondes. C’est sa pratique. Son désir est de montrer du respect aux trois joyaux et je suis un monastique, je représente les trois joyaux. Ces personnes ne s’inclinent pas devant mon ego, devant ‘mon moi’, elles s’inclinent devant les trois joyaux à travers moi. C’est pourquoi je m’assois très droit, je pratique la respiration consciente, je prends conscience que c’est devant les trois joyaux qu’elles s’inclinent ; elles ne s’inclinent pas devant mon ego, donc je reste libre. Pendant qu’elles font les trois touchers de la terre, elles acquièrent beaucoup de paix et de mérite. Et moi aussi, j’acquiers beaucoup de paix et de mérite. Il n’y a pas de risque à ce que je devienne victime de l’orgueil, de l’arrogance, parce que je comprends cette pratique.
À chaque fois que j’ordonne un novice et qu’il porte la robe monastique [pour la première fois], je lui dis systématiquement et immédiatement : « Si une personne te montre du respect, tu ne dois pas t’enfuir. Tu devrais te rappeler que tu représentes les trois joyaux, c’est pourquoi tu devrais t’asseoir très droit, en inspirant et expirant, afin de lui donner l’opportunité de montrer sa gratitude envers les trois joyaux. Souvenez-vous que ces personnes ne s’inclinent pas devant votre ego, même si vous êtes encore fragiles [dans votre pratique], même si vous avez encore des difficultés, peu importe. Elles ne s’inclinent pas devant vous, elles s’inclinent devant les trois joyaux et vous les représentez. Alors asseyez-vous très calmement et pratiquez la respiration et voyez tous les patriarches qui se tiennent derrière vous, ces personnes s’inclinent devant eux et non devant vous. »
C’est le genre de pratique et d’enseignement que je donne. Quand j’entre dans une pièce et que je vois tout le monde se lever ou s’incliner comme ça, je sais que c’est leur pratique et que cela n’a rien à voir avec moi. Quant à moi, je dois pratiquer tranquillement, en pleine conscience, sans être aucunement perturbé par ce genre de comportement. Les deux parties pratiquent, et je ne deviens pas la victime de la fierté ou de l’arrogance.
À chaque fois que je transmets les cinq entraînements à la pleine conscience à un public de sept cents, huit cents ou mille personnes, je vois que ces personnes reçoivent la transmission du Bouddha, des patriarches. Je suis assis là et je reste très libre. Cela n’a pas d’impact sur moi, le respect des gens, la considération des gens n’a pas d’impact sur moi. C’est ma pratique. Et j’espère que les grands frères, les grandes sœurs, les dharmacaryas (enseignants du Dharma), pratiqueront comme moi afin de rester libres. C’est un cadeau : l’humilité, l’équanimité.
Je pense que cela peut vous aider à répondre à votre question. Regarder le contenu et ne pas être victime de la forme.
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