Partage de Béatrice – Retraite francophone 2017


C’était la première fois que je suivais une retraite au « Village des Pruniers ».
Depuis toujours je cherche la lumière et fouille l’univers pour la trouver.  Parfois je m’en approche, tourne autour et tout disparait.  Le Yoga, la théologie, certaines techniques de développement personnel font partie de ma vie.
Avec parfois l’impression que je tourne en rond.
Pendant la retraite, j’ai compris que cette recherche visait plus à fuir la souffrance et les fantômes d’une enfance malheureuse.
Au Village des Pruniers,  le bonheur est offert sur le plateau d’une simple pratique.  Cette pratique est un raccourci pour accéder directement à ce qui est : le bonheur de l’instant présent.  Le passé est passé et le futur n’est pas encore là.
Pendant sept jours, je me suis laissée conduire par la main du silence. L’énergie ambiante est soutenue par les enseignements et les méditations actives.  Quand nous respirons, notre esprit reste à l’écoute du corps.
Quand nous marchons, nos pas nous accompagnent, nous posons chaque pied sur le sol avec attention.  Quand nous mangeons, nous mâchons religieusement la nourriture pour découvrir les saveurs proposées.  Pour faire la vaisselle, nos mains ne nous quittent pas.  Nous nettoyons notre assiette avec tendresse et soin.
Mais que de résistances ! Mon esprit figé dans des habitudes réflexes s’envole à tout moment comme un oiseau sorti de sa cage ivre de liberté !  Puis l’oiseau revient à l’abri d’une respiration apaisante ou saisi par la beauté d’un arbuste tout juste fleuri babillant au pied d’un bouddha impassible.  La sérénité des sœurs est contagieuse.
La saveur de la conscience ici au monastère est partout.
Est-ce que moi je fuis la souffrance ?  Ça m’interpelle, cette histoire !  Je l’entends encore au cours d’un enseignement.  Enfant, je subissais la souffrance, je ne pouvais donc pas la fuir !
Et plus tard, ce malheur remontait du passé à l’improviste pour ravager mon bonheur !  Il m’empoisonnait.
A travers la nature et les bourgeons invités par le printemps, la discrétion, la générosité et l’organisation magique des sœurs,  tout s’éclaire. Tout est fait pour favoriser une meilleure compréhension : la pleine conscience pendant les repas si bons, les marches silencieuses et fleuries et les pique-niques dans les bois où chacun est en soi, le mieux qu’il peut, sans effort, sans forcer…
J’inspire, je sais que j’inspire jusque dans mes cellules;  et j’expire pour gouter une vision plus profonde de ma réalité du moment.  Je continue, j’aime ça.  C’est tellement simple !
Oui, je découvre que c’est vrai.  Je fuis la souffrance, je me suis domptée pour m’évader en m’identifiant par réflexe à tout ce qui me tombait sous la main.  Ado c’était la bouffe, les amours impossibles, les rêves d’un monde idéal que je vivrai plus tard.  Je bâtissais scénario sur scénario.  Après je suis tombée dans la volonté de m’améliorer avec du yoga, du sport, des exercices spirituels pour plus de sagesse…
Aux Pruniers, à travers les enseignements et les chants, j’ai pu savourer des mots aux couleurs différentes, des gestes débordants de gratitude, des paroles donnant un sens là où il n’y en avait plus
La grâce de l’instant de s’arrêter quand sonne le gong ou les cloches du village voisin pour un rappel à soi.  Se laisser pénétrer par le son jusqu’à ce qu’il tombe sur un coussin de bien-être.
Les moments de « vraie » souffrance vécus tout au long de ma vie m’ont apporté beaucoup de joie.  Trop souvent, je confonds la souffrance avec la peur de la souffrance;  d’où la fuite en avant, les divertissement, internet…  une avalanche de prétextes à ne pas assumer la réalité par crainte de…  Souffrir.
La souffrance est un moteur, le terreau de la joie. « On ne peut pas éviter de souffrir ! », disent les sœurs.  Elles ont raison, pourquoi ne me l’a-t-on jamais dit ?
« Si vous étiez toujours heureux vous imaginez ! Ce serait ennuyeux ! », disent-elles également

J’ai vécu une étonnante expérience lors d’une méditation dirigée sur le père et la mère.  En les visualisant, de la rancune et de la honte sont remontées avec beaucoup de ressentiments et d’accusations.  Mes parents me paraissaient statiques et tristes.  Ils sont décédés depuis longtemps.  Je ne sais plus depuis quand.  J’ai mis une croix dessus.
Lors des rituels des touchers à la terre,  j’ai lâché mon amertume tant bien que mal… Comment tout pardonner ou simplement excuser !
Il fallait ensuite les imaginer à cinq ans, l’un après l’autre.  Je transposais le visage de mon adorable petite fille de cinq ans sur le visage de ma mère pour plus de facilité et celui de mon petit-fils sur celui de mon père. Que de vitalité en eux ! des rires en cascade et des yeux pétillants.
Revoir papa et maman en adulte à la suite de ça, m’a totalement bouleversé. Avec le temps, ma mémoire les avait momifiés et soudain ils reprenaient figure humaine.  Je voyais leur générosité et leur amour.
Le gong a interrompu ce brutal retournement.  J’ai eu du mal à me relever.  Tout le monde sortait en silence, je me suis assise en tailleur au fond de la pièce, la tête dans les mains.
Je ne voyais même plus une paille dans les yeux de mes parents, je ne voyais que la poutre dans les miens.
Tout ce que je leur reprochais depuis tant et tant d’années était en moi.  Je le projetais sur eux pour ne pas le voir en moi. Oui à travers mes larmes je regardais ce reflet dans mon miroir.
J’ai pleuré longtemps, personne ne m’a dérangé.  J’ai pu ainsi découvrir un aspect plus profond de mon identité.  Une nouvelle porte s’est largement ouverte et j’ai pris l’engagement qu’elle ne se referme plus. Faire fructifier cette découverte m’habite depuis mon retour, et le terreau de la retraite porte ses fruits.  Chaque matin, je souris à la vie et j’appelle mon esprit bleu comme le ciel pour qu’il éclaire la journée.
Merci à Thaï, à la Sangha, à toutes les Sœurs et les Frères…
Béatrice

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Thich Nhat Hanh January 15, 2020

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