Je m’appelle Jean-Baptiste, j’ai trente quatre ans, je suis enseignant d’éducation physique et sportive. Je viens juste de rentrer de la semaine de retraite du nouvel an dédiée aux enseignants au Village des Pruniers. Je suis un novice en ce qui concerne les pratiques de pleine conscience. Au cours de l’année 2018, j’ai lu quelques livres de Thich Nhat Hanh mais je n’avais aucune pratique personnelle avant de venir sur place.
Ma vie est plutôt rythmée, citadine et je suis un épicurien…Il m’a fallu du courage pour me décider à passer le premier de l’an dans un monastère bouddhiste en pensant qu’on ne ferait pas spécialement la fête, qu’on mangerait végan et qu’on ne boirait pas d’alcool ! Cependant cela a été l’une des meilleures décisions que j’ai prise et je me décide donc à partager mon retour d’expérience sur cette semaine qui m’a ouvert les yeux sur beaucoup de choses. Je fais cela humblement, certainement de manière très naïve mais je me dis qu’il doit y avoir beaucoup de personnes qui hésitent à venir au village. J’ai envie de leur dire qu’il ne faut pas. Si on y pense, il faut le faire.
Vivant à Bordeaux, je suis arrivé tard pour la journée d’accueil, à 17h30 soit une demi-heure à peine avant le repas. Le vendredi midi j’étais au restaurant pour profiter avant le sevrage. Je consomme de la viande raisonnablement, mais de là à penser pouvoir tenir une semaine sans y toucher…je me disais que je méritais bien un petit quelque chose avant de me lancer. Il faisait déjà nuit quand je me suis enregistré et que j’ai appris que je dormirais à West Lake. Mario, très sympathique, m’a fait faire un petit tour pour m’expliquer l’agencement du Hameau du Haut. Je n’ai pas posé de questions et quand il est parti je me suis dit que je n’avais quand même pas beaucoup d’informations. Quels sont les règles, les codes ? Qu’est ce qu’on a le droit de faire ou ne pas faire ? C’est où West Lake ? L’atmosphère était très paisible, un peu mystérieuse même. Je me suis baladé rapidement (je n’étais pas encore acclimaté) et j’ai croisé quelques personnes à qui je disais bonsoir avec mon grand sourire mais j’ai eu peu de réponse. Les gens ne savaient pas que je venais juste de débarquer et devaient se demander qui c’est celui là qui cherche désespérément un contact. Moi je me disais « Ouh la, ça va être dur, si c’est comme ça toute la semaine… ». Il y a eu un son de cloche et tout le monde s’est arrêté. Que se passe t-il ? Combien de temps cela va durer ? …
En rentrant pour la première fois dans la salle des repas le silence était total. Les gens semblaient être concentrés, absents. J’ai attendu mon tour, j’ai vu l’inscription « Noble silence ». La première pratique de pleine conscience commençait, la retraite était lancée. Je me suis servi puis assis à la première table à droite, timidement, en face d’un homme qui portait le sweat du village, quelques bagues et qui a répondu à mon sourire en me donnant le sien. Ouf, quelqu’un de réceptif. J’ai commencé à manger, un peu trop rapidement au vu de son rythme, alors j’ai ralenti. D’autres personnes nous on rejoint. Certaines se recueillaient avant de commencer ou nous saluaient en joignant les mains comme pour une prière. Pourquoi ils font ça, c’est pas une retraite laïque à destinations des enseignants ? Qu’est ce que je fais là…Après un certains temps, une cloche a sonné et des personnes ce sont mise à parler. Ouf. Richard, pratiquant expérimenté, venant des états-unis, a proposé à la table une expérimentation. Il nous a demandé de prendre une bouchée de notre repas et d’ensuite poser nos couverts pour mâcher. Est-ce que vous sentez une différence nous a t-il demandé ? Ce à quoi j’ai répondu que ne pensant pas à la prochaine bouchée on avait le temps d’apprécier celle qu’on avait dans la bouche. Prendre le temps d’apprécier la nourriture.
J’ai ensuite entamé la conversation à voix basse avec Jean-Pierre qui était déjà là depuis une semaine. Il se trouve que lui aussi dormait au même endroit que moi. Il m’a gentiment proposé de me guider la-bas et m’a donné quelques pistes pour réussir mon intégration. Heureusement que je l’ai rencontré à ce moment. Et d’une manière générale. Il fait parti des personnes avec qui j’ai partagé de très belles discussions et moments par la suite. Rien n’arrive par hasard.
A vingt heures tout le monde s’est réuni dans la Grande salle pour une séance de relaxation allongée. Je me suis trouvé assez réceptif à l’exercice jusqu’à ce quelqu’un se mette à ronfler, doucement, puis de plus en plus fort…A ce moment mon esprit est complètement sorti de la séance et j’ai du faire un gros effort pour ne pas rire…J’ai compris par la suite que cela arrivait assez souvent et que je pouvais essayer de ne pas trop me laisser perturber en me concentrant sur ma respiration. Peut-on en vouloir à quelqu’un de s’endormir dans une séance de relaxation ? Ce moment m’a vraiment fait du bien. Je suis rentré plus spirituellement dans la retraite. On a ensuite reçu des informations pratiques sur le programme puis j’ai retrouvé mon ami qui m’a une nouvelle fois guidé, cette fois à travers la forêt, pour rejoindre notre dortoir. Merci.
Le deuxième jour a été rempli de moments, qui permettent de sentir plus profondément la pratique. On a par exemple, vécu une méditation guidée le matin ou une marche. J’ai également rencontré les membres de ma « famille », groupe avec lequel je partageais chaque jour, la méditation du service. Cela consiste à réaliser une tâche en pleine conscience pour la communauté. Nous nous retrouvions aussi pour le partage du Dharma. C’était un moment supervisé par un moine où nous nous pouvions partager nos ressentis, émotions ou réflexions.
Nous étions donc en charge du nettoyage des toilettes. Noble responsabilité pendant laquelle j’ai réalisé qu’il n’était pas toujours aussi facile que l’on pense de respirer profondément en pleine conscience. Malgré ce petit détail technique nous avons pris du plaisir à réaliser cela ensemble, dans la bonne humeur, toujours. Ma famille était composée de membres expérimentés comme Hélène et Jacques, Marianne ou Jonas. Ils avaient pour habitude de commencer et terminer cette pratique par des chants. Je dois avouer que les deux premiers jours je ne me suis pas senti très à l’aise. Je ne connaissais pas les paroles, et voyant le groupe les mimer avec enthousiasme (j’ai appris ensuite que c’était en fait la traduction en langue des signes) je me demandais si j’étais bien à ma place, tellement je ne me voyais pas faire comme eux. Mais comme Frère Phap Bieu nous l’a expliqué ensuite, cette pratique collective est faite pour réveiller l’enfant qui est en nous et partager un moment simple, qui nous rassemble en nous ramenant au moment présent. Cela a pris un peu de temps mais je me suis libéré de cette pression qui m’envahissait à ces moments, voyant tout le monde participer, avec joie. Je peux même avouer qu’au lendemain de la fin de cette semaine, aujourd’hui, je me suis surpris à chanter « happiness is here, right now…. » en conduisant, avec un grand sourire sur les lèvres. Je suis même allé voir sur Youtube une vidéo pour apprendre les paroles qui me manquaient sur la fin…
Nous nous retrouvions également certains après midi, pour le partage du Dharma. Tout le monde assis en cercle (en commençant par une chanson pour bien me mettre à l’aise) afin de partager un moment de parole. La première fois, nous avons fait un tour pour nous présenter formellement et livrer notre ressenti sur les premiers moments de la semaine. Vu que chacun parlait à tour de rôle en suivant les aiguilles d’une montre, je n’ai pas pu éviter. Par contre le deuxième jour, je n’ai pas participé. Je trouvais que toutes les personnes autour de moi avaient évoqué des choses
tellement sincères, belles ou personnelles que je ne me sentais pas capable d’en faire autant. Je ne savais pas quoi dire et dans tous les cas je trouvais cela ridicule. Seulement le soir j’ai beaucoup culpabilisé en rentrant me coucher. Je me trouvais nul. Tu viens ici pour essayer d’incorporer la pratique, tu as des gens dans ta famille qui partagent de manière très libre, personne ne va te juger et tu n’arrives pas à te livrer, même pas une pensée, aussi petite soitelle… Mais au cour de la semaine la parole s’est libérée. Ces moments, ainsi que toutes les discussions que j’ai eu au village m’ont fait réaliser à quel point cela faisait du bien d’être écouté, sans que nos paroles soient interprétées, sans être coupé. Quelque chose de tout simple encore une fois mais d’essentiel. Et qui très souvent n’est pas présent dans notre quotidien. Combien de fois je coupe la parole à mes amis, collègues ou élèves parce que je pense que ce que j’ai à dire est plus important …
Le rythme des premières journées a été bousculé la veille du premier de l’an. Afin d’être bien en forme pour le soir, nous avions la chance d’expérimenter une matinée de paresse. Ce sont des moments qui sont très chers à Thich Nhat Hanh. Quoi de mieux pour profiter de l’instant présent que de n’avoir rien à faire, pas d’obligations. La journée a filé et dès le milieu de l’après-midi, les différents hameaux qui composent le village nous ont rejoint pour un enseignement du Dharma de Frère Phap Dung, simple et profond, ponctué de beaucoup d’humour et anecdotes personnelles. Un grand moment. Chaque enseignement reçu à été très enrichissant. J’éprouve un très grand respect pour les moines/nones et j’ai réalisé à quel point ils étaient des personnes remarquables. Être capable de réaliser un discours devant des centaines de personnes, plein de sens, avec autant de calme, en rendant les idées et concepts tellement abordables que tout le monde se retrouve avec des pistes de réflexions personnelles a été fascinant. La soirée du premier de l’an a elle aussi été exceptionnelle. Nous avons eu la chance de partager un délicieux repas (sans fois gras, huitres, viandes, vins ou champagne…! , une première mais un réel plaisir). En silence pour une vingtaine de minutes, puis nous étions ensuite libre d’échanger. Tu peux parler si tu veux, mais tu n’as pas à le faire. J’étais seul, mais entourés de personnes inconnues mais aimantes. Il suffisait de tourner la tête pour recevoir un sourire, une marque de respect ou entamer une conversation. Nous avons ensuite eu droit à un spectacle de deux heures pendant lesquelles se sont succédés chants, performances individuelles ou collectives et théâtre. Lord of the thing…magique ! Comme tout ce qui nous a été offert ce soir là. Une très forte énergie était présente dans la salle, beaucoup de rires, d’émerveillement et de joie. On pouvait ressentir le plaisir des moines et nones à partager cette soirée avec nous. Soirée qu’ils avaient mis des mois à préparer. J’ai étais très marqué par l’invitation de la cloche après chaque petits moments, ou dès que la salle s’emballait un peu. Le retour au calme et à notre respiration en était encore plus saisissant. Je ne savais pas à quoi m’attendre et j’ai été comblé. Et vu les réactions de la salle, je n’étais pas le seul. La deuxième partie de soirée a été plus spirituelle, séance de relaxation puis méditation. Je me souviendrai longtemps du son des roulements de tambour à minuit… Au cour de la semaine j’ai pris la décision de recevoir les cinq entraînements à la pleine conscience. La veille, j’étais mentalement très excité et impatient. Nous n’avons pas eu de séance de relaxation ou méditation et j’ai eu un sommeil agité. Alors que les nuits précédentes avaient été calmes et paisibles. Je me suis réveillé à 1h20, 2h30 pour finalement me lever à 4h45 pour avoir le temps de bien me préparer. Je me sentais malgré tout en pleine forme et voulais aller écouter le moine qui réveille le monastère en invitant la grande cloche tout en chantant en vietnamien. J’ai attendu et il a commencé. Quelle belle manière de débuter cette journée spéciale. La cérémonie était prévue à six heures du matin. Nous devions nous installer au centre de la Grande salle de méditation, alignés sur trois colonnes, face à l’autel. Les moines quand a eux, étaient disposés sur chaque coté et derrière eux toutes les personnes de la retraite. On ressentait déjà en prenant place quelque chose de très fort. Nous étions la raison de cette cérémonie. Et tout le monde était là pour nous accompagner dans notre démarche. La puissance des chants a provoqué en moi des émotions rares. Je crois que c’est la première fois que j’ai pleuré car je savais que j’étais au bon endroit, au bon moment. J’ai reçu le nom de Claire direction du coeur.
La fin de la semaine est arrivée beaucoup plus vite que prévu et j’ai trouvé difficile d’avoir à quitter le village. Finalement, je serais bien resté plus longtemps…
Je veux remercier chaleureusement les frères et soeurs qui nous ont accueillis au village. Leurs enseignements, leur disponibilité et leurs sourires m’ont touché profondément. Merci également à tous les autres, il n’a fallu parfois qu’un regard pour communiquer à quel point on était bien ensemble.
Pour terminer, je partage l’histoire qui m’a permis d’entendre parler du village pour la première fois car on m’a souvent posé la question cette semaine. J’étais en transit à Amsterdam un dimanche soir quand l’avion qui était censé nous ramener chez-nous a été annulé. La centaine de passager français travaillant le lundi matin était légèrement énervée. N’ayant aucune obligation le lendemain, nous avons décidé de rester un peu en retrait du bureau de la compagnie où les hôtesses aériennes tentaient de proposer des solutions alternatives de transport ou de logement pour la nuit. Nous avons vu dans cette foule, un peu perdue, une soeur habillée en marron, qui attendait patiemment son tour. Ma copine qui parlait vietnamien a discuté avec elle. Elle l’a aidé à traduire les instructions de la compagnie pour organiser son retour et on a ainsi pu découvrir le village des pruniers qui se trouve à seulement une heure et demie de Bordeaux. C’était en 2016, une petite graine avait été arrosée en moi et aujourd’hui, je commence cette nouvelle année 2019 par une semaine de retraite avec cette communauté.
Rien n’arrive par hasard.
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