Quand j’ai entendu parlé de la retraite, j’ai su tout de suite que je voulais y participer. Ne voulant pas avoir l’air trop attaché, j’essayai de l’aborder de façon aussi désinvolte que possible avec le moine qui organisait la retraite, bien que j’éprouvais une certaine appréhension. Je n’avais skié qu’une seule fois auparavant et c’était il y a quatorze ans. Je me suis rassuré en pensant : «Depuis que je suis dans la Sangha, j’ai appris à faire beaucoup de choses nouvelles. Et comme c’est la première retraite de ski en pleine conscience du Village des pruniers, en fait nous sommes tous débutants! « .
Seulement nous ne l’étions pas. J’étais le seul débutant. Le reste des moines et des retraitants semblaient avoir appris à skier à l’âge de cinq ans et possèdaient plusieurs dizaines d’années d’expérience. Je pouvais à peine me rappeler comment mettre mes chaussures de ski.
Il y avait quelque chose d’impressionnant d’être parmi ces montagnes. Elles ont une immensité qui m’a tiré instantanément de mon petit monde et ramené dans le moment présent. Le temps s’est arrêté pour moi et j’ai senti qu’en respirant, toute la chaîne de montagnes respirait avec moi. Je savais que j’étais un minuscule point sur le flanc d’une montagne, totalement insignifiant comparé à la taille et à l’âge de celle-ci, pourtant je me sentais très spacieux et connecté.
Ce fut une expérience étrange sur les pistes, alternant entre cet état d’ouverture et des moments où je me sentais effrayé et inadéquat. Habituellement, quand je ne suis pas doué pour quelque chose, j’ai tendance à l’éviter pour ne pas générer le sentiment d’être inadapté ou pas assez bon. Lors de ce voyage, j’ai été confronté à cette énergie d’habitude. J’étais clairement le skieur le plus faible du groupe et ils attendaient souvent que je les rattrape.
Cela a atteint le point culminant pour moi le troisième matin de la retraite. Ce matin là, sur notre parcours nous avons dû prendre une piste noire. Celles-ci sont les pentes les plus raides et les plus difficiles. Pire encore, il n’y avait pas de neige fraîche, tout avait gelé pendant la nuit. Les pistes noires semblaient abruptes en les voyant de loin, mais quand je me suis retrouvé debout au bord du précipice et que j’ai baissé les yeux, j’ai eu l’impression d’être à l’aplomb d’une chute verticale. Mes muscles sont devenus tellement tendus que vous auriez probablement pu vous tenir debout sur mon bras.
Ce fut donc avec une grande terreur que j’ai basculé du bord de la piste et commencé à descendre. Je suis tombé au premier virage. Il y avait une sorte de panique dans mon esprit. Est-ce qu’un autre skieur allait me percuter ? J’ai essayé de me lever mais un ski avait déchaussé. J’étais coincé là, flottant apparemment contre le flanc de cette pente verticale. Mon esprit était vide de peur. Je pensais vaguement que la gravité fonctionnait sous un mauvais angle avec mon corps.
Au moment même où l’état d’impuissance de ma situation retentit dans mon corps et dans mon esprit, je sentis quelque chose de rassurant contre ma cheville. Une femme de notre groupe est apparue devant moi, me faisant signe de me lever. Un autre retraitant avait serré son pied contre ma botte pour que je puisse me lever et remettre mon ski. Je suis reparti et les ai suivi sur la piste.
Je pense que pour ces deux personnes et le groupe c’était un incident assez banal. Quelqu’un est tombé et s’est relevé. Pour moi, c’était un moment de rédemption. Depuis si longtemps j’avais entendu parlé de se réfugier dans la sangha mais mes propres peurs et ma résistance à la vulnérabilité m’empêchaient de le faire publiquement. J’avais seulement simulé la pratique de prendre refuge, à partir d’une position de force et de fausse humilité. Mais couché contre cette pente après ma chute, je me sentais aussi vulnérable qu’au jour de ma naissance. Je ne pouvais pas sortir de cette situation par moi-même, je devais compter sur et faire confiance aux autres.
C’était un moment de guérison et de transformation pour moi parce qu’auparavant j’avais toujours eu trop peur de dépendre des autres. D’une façon ou d’une autre, je pensais que ma sécurité ne pouvait venir que du fait d’être totalement indépendant et autosuffisant. Même si cette approche de la vie m’a donné une certaine sécurité, elle m’a aussi privé de la joie et du bonheur d’être en relation avec les autres. Elle ne m’a jamais fourni une véritable sécurité parce qu’elle niait la réalité que nous inter-sommes.
La retraite était relativement petite, seulement une vingtaine d’entre nous. Il y avait une sorte d’intimité que nous partagions d’être un si petit groupe. Chaque soir, nous pratiquions la relaxation totale et le partage du Dharma ensemble. Nous pratiquions la méditation assise le matin et le soir. Et chaque jour, nous avons eu le privilège de faire partie de cette incroyable expérience des montagnes et de la neige. C’est dans ce genre d’unité que nous nous sommes liés.
J’ai beaucoup réfléchi sur la Sangha pendant cette retraite. Chacun dans notre groupe avait ses propres qualités et limites. Personne d’entre nous n’était parfait. Mais en quelque sorte en tant que sangha, nous étions forts et dynamiques. Nous avions beaucoup de talent et d’énergie.
Un matin nous avons trouvé une piste plus tranquille. Nous étions le seul groupe à cet endroit et c’était parfaitement silencieux. Nous avons chacun à notre tour descendu une partie de cette pente. Le reste des personnes attendant au-dessus ou en-dessous. En tant que groupe, nous nous sommes exercés à écouter le son que chaque personne faisait en descendant. Nous avons simplement observé chaque personne telle qu’elle s’exprimait et apprécié sa joie d’être en mouvement sur les skis.
Certains étaient rapides, d’autres étaient lents. certains semblaient défier la gravité tandis que d’autres étaient plus conscients de leurs mouvements. Certains laissaient échapper un cri de joie, d’autres restaient silencieux dans la concentration. Tout le monde était complètement lui même, une cellule dans notre corps de sangha en relation avec toutes les autres. Nous avions tous des qualités différentes, mais ce que nous avions en commun, c’était que nous étions présents l’un pour l’autre.
Il reste quelques places si vous souhaitez participer à la prochaine retraite de Ski en pleine conscience en Andorre, du 19 au 24 mars 2019. Cliquez ici pour plus d’informations.