Justice raciale / Que peuvent faire les Blancs ?

Sœur Tam Muoi (alias Sr. Samadhi) raconte son parcours personnel avec la pratique de la conscience d’être Blanc.

Photo courtesy of Conrad Benner, Artwork by Kara Springer

Les Blancs, faites quelque chose. Mais quoi ? Permettez-moi de partager une partie du chemin parcouru ces cinq dernières années, d’abord avec l’aspiration à créer plus de diversité dans notre Sangha, mais en réalisant rapidement qu’il y avait un tout autre chemin à parcourir avant tout prendre conscience d’être Blanc.« Blanc » : une description pour les personnes entrée dans les langues européennes à la fin du 17ème siècle, utilisée dans les documents légaux pour différencier les propriétaires des esclaves des esclaves eux-mêmes. https://fr.wikipedia.org/wiki/Race_humaine

Je me réveille

À Deer Park en 2015, lors de la tournée d’enseignements aux Etats-Unis, j’ai participé à un atelier intitulé « L’équité raciale ».

Cet atelier a finalement donné naissance à l’ « ARISE Sangha » (éveil par la race, l’intersectionnalité et l’équité sociale)

L’atelier a été proposé par un groupe de monastiques noirs, indigènes et de couleur, de monastiques Blancs, d’enseignants du Dharma laïcs et de membres de l’Inter-Etre. J’en faisais partie, et en lien avec un pratiquant Blanc qui a demandé au panel : « Que pouvons-nous faire ? »

La réponse m’est restée, comme un koan : « Ne nous demandez pas, à nous, gens de couleur, d’éduquer les Blancs sur le racisme et la diversité, comme sur tout ce que nous faisons. Ce que vous devez faire, c’est vous éduquer vous-mêmes ! » C’est ainsi que j’ai commencé mon voyage.

Sr Tam Muoi, (alias Sr Samadhi) prend actuellement soin de sa maman très agée au Royaume-Uni. Si le virus le permet, elle sera bientôt de retour dans sa vraie maison, le Hameau du Bas, au Village des Pruniers, où elle aime jardiner.

Etes-vous sûr?

Avant l’atelier de 2014, j’ai eu la grande chance d’être parmi les monastiques que Thay (Thich Nhat Hanh) a envoyé vivre au monastère de la Falaise Bleue (Blue Cliff ), notre centre dans le nord de l’État de New York. J’ai vécu à Blue Cliff durant trois ans et parmi les nombreux avantages d’y vivre, j’ai eu une expérience de la race totalement différente de celle à laquelle j’étais habituée dans la campagne anglaise, où j’ai grandi, ou dans le sud-ouest de la France au Village des Pruniers.

Ma première retraite à Blue Cliff a été un week-end de retraite avec des avocats. J’étais intriguée et je m’attendais à ce que le monastère soit rempli d’hommes Blancs et riches. Mais non ! Notre abbesse, Sr The Nghiem, consacre ses efforts à l’inclusion sous toutes ses formes. En conséquence, Blue Cliff entretient une amitié continue avec l’école de droit CUNY, la meilleure école pour la justice sociale aux Etats-Unis. Sa mission déclarée est de « transformer l’enseignement, l’apprentissage et la pratique du droit pour inclure ceux qu’il a exclus, marginalisés et opprimés ».

Le vendredi après-midi, au début de la retraite pour les avocats, un bus est arrivé. Il transportait une multitude de jeunes gens engagé.es et inspirant;es, ainsi que leurs professeurs, représentant la diversité ethnique de la ville de New York et de ses arrondissements. J’ai remarqué que mes idées préconçues sur les avocats commençaient à changer.

Ce soir-là, à ma grande honte, j’ai demandé à une Afro-Américaine d’âge mûr, assise à côté de moi dans la salle à manger si elle était étudiante. Non, a-t-elle répondu, avec un sourire naturel, je suis le juge en chef du tribunal des affaires familiales pour les cinq arrondissements de New York. Voilà le genre de malaise que ce voyage m’a fait ressentir à maintes reprises, mais j’apprends à le garder, à le sentir dans mon corps et surtout à en tirer les leçons et à être humble.

Plus tard, j’ai eu la chance d’assister à une formation « Zen et Race » à New York, donnée par la première enseignante du Dharma afro-américaine , Merle Kodo Boyd, du cercle Zen Peacemaker. Mon souvenir le plus marquant de ce week-end de diversité ethnique a été d’apprendre pour la première fois l’expression « micro-agression » et ce qu’elle signifie.Le terme microagression est utilisé pour désigner des comportements ou des propos, d’apparence banale, envers une communauté et qui sont perçus comme péjoratif ou insultant de la part de celle-ci. L’aspect négatif ou hostile de la part de l’émetteur n’est pas obligatoirement intentionnel. Les communautés concernées sont en particulier les groupes culturellement marginalisés [source: Wikipedia]

Tout en partageant des faits, mon partenaire a expliqué comment, souvent lors d’événements publics, sa femme, d’origine latino-américaine, est fréquemment abordée comme si elle faisait partie du personnel de restauration. L’hypothèse de l’occupation de sa femme à cause de la couleur de sa peau a fait remonter le malaise. Que faire de ce nœud à l’estomac, de la bouche sèche, de la colère ressentie et de l’impuissance ?

Devenir curieuse

Au moment de la retraite annuelle des Personnes de Couleurs, j’en avais appris assez pour comprendre que les retraitant.es des Personnes de Couleurs ont besoin de leur propre espace de sécurité et de confidentialité, sans avoir à se soucier des sentiments des Blancs. Néanmoins, c’était la première fois que j’étais témoin des effets néfastes de la « cécité aux couleurs »Cécité aux couleurs » est une défense commune que les personnes blanches utilisent lorsqu’elles sont en face d’un inconfort racial, c’est à dire « Je ne vois pas de couleur. Ne sommes-nous pas les mêmes? » de la part de ceux et celles d’entre nous qui ne sont pas encore conscient.es du privilège des Blancs. J’ai observé l’expression de sentiments forts, y compris la contrariété, la tristesse et la colère de ne pas pouvoir rejoindre les groupes de partage du Dharma des Personnes de Couleurs. De nombreux participants Blancs ont exprimé des raisons bien intentionnées de vouloir participer, comme par exemple : « Nous voulons apprendre, nous voulons entendre l’expérience des Personnes de Couleurs de première main, et nous voulons aider ».Un autre a dit : « Le monastère de Blue Cliff est notre maison, et je me sens frustré si je ne suis pas autorisé à participer aux sessions. »

En inspirant, je dis bonjour à mon irritation, en expirant, je remarque l’inconfort dans mon corps. Que faire ? Naturellement, dans notre tradition, nous savons que la compassion naît de l’écoute et de la conscience de la souffrance ; et de nombreux membres Blancs de notre sangha ont voulu avoir l’occasion de témoigner et d’écouter la souffrance de nos frères et soeurs des Personnes de Couleurs, afin de mieux comprendre, pour aider. J’ai entendu l’angoisse des participant.es Blancs qui se sentaient exclus. Mais je veux aussi être consciente du glissement vers le mode « habilité », qui va de pair avec le Privilège Blanc. Cependant, j’ai appris grâce à de nombreux militants des Personnes de Couleurs qu’il ne suffit pas d’avoir de bonnes intentions pour nos actions, nous devons être conscient.es de leurs effets.

Par exemple, en voulant rejoindre le partage du dharma des Personnes de Couleurs, ma bonne intention a pour effet de perturber la sécurité des membres du groupe. L’un de mes privilèges en tant que Blanc est que je peux répondre à mes besoins de sécurité sans poser de questions. Néanmoins, je me sens déterminée à utiliser mon privilège pour aider, ce qui signifie savoir quand me retirer et respecter les besoins des autres, qui peuvent être différents des miens et peuvent m’exclure.

Musée National de l’histoire Africaine-Américaine et de la Culture à Washington DC. (Photo courtesy of Brook Ward under creative commons.)

Un regard profond

En 2016, une autre expérience m’a fait prendre conscience de ce que signifie être Blanc. J’ai visité le musée afro-américain récemment ouvert à Washington DC. Je ne serai plus jamais la même. La visite commence au sous-sol, avec l’histoire de l’esclavage. Qu’ai-je trouvé dans ces vitrines ? J’ai trouvé mon propre pays, l’Angleterre. J’ai trouvé la famille royale britannique, propriétaire du monopole sur la traite transatlantique des esclaves pendant un siècle, à partir de 1660. Les nations européennes concurrentes ont continué à pratiquer ce commerce lucratif pendant un autre siècle. J’ai trouvé les noms de nombreuses villes anglaises familières, enrichies par ce commerce de vies volées et brutalisées. J’ai lu comment les profits de la traite des esclaves ont financé la révolution industrielle au XVIIIe siècle et ont fourni les capitaux nécessaires au lancement de l’Empire britannique.

J’ai eu mal à l’estomac. J’étais en colère et je me sentais profondément trahie qu’on ne m’ait pas appris cela à l’école. J’étais en colère contre mes parents, qui ont toujours eu une haute opinion de l’Empire britannique. Cette vague de sentiments allait bien au-delà de l’inconfort. J’étais stupéfaite.

À Washington DC, j’ai rencontré de front le côté obscur de mes ancêtres de la terre où je suis née. J’ai appris leur avidité qui les avait poussés. Grâce à notre pratique, je sais que j’ai également en moi les mêmes graines d’avidité provenant de la peur de ne pas avoir assez. Néanmoins, ce jour-là, au musée, j’ai entamé le processus de toute une vie consistant à déballer mon héritage de souffrance et d’exploitation et à voir d’un œil neuf l’histoire qui me donne aujourd’hui le privilège de Blanc.

Plus tard, avec d’autres lectures et discussions avec d’autres amis sur le chemin, je me suis demandée dans quelle mesure j’avais déjà connu ces faits. Avais-je été dans le déni, me gardant dans l’ignorance parce que je jouissais de mon privilège ? Pourquoi n’avais-je pas posé les bonnes questions ? Alors, j’ai cessé de blâmer les autres et j’ai commencé à voir ma responsabilité, ce qui a été le début d’un changement en moi-même.

Au début, le mot privilège semble trop fort. Je ne suis pas riche, ni titulaire d’un titre de propriété, ni propriétaire foncier. Cependant, en lisant Peggy McIntosh’s “White Privilege: Unpacking the Invisible Knapsack,”(Le privilège blanc: déballer le paquetage invisible) j’ai réalisé à quel point je bénéficiais d’un « système invisible conférant une domination à mon groupe ».https://fr.wikipedia.org/wiki/Privilège_blanc

Par exemple, McIntosh offre 50 exemples de privilèges quotidiens que la plupart des personnes blanches bénéficient sans s’en rendre compte. Il s’agit notamment de :

  • Je peux faire mes courses seule la plupart du temps, assez sûre de ne pas être suivie ou harcelée.
  • Je n’ai pas besoin d’éduquer mes enfants pour qu’ils soient conscients du racisme systémique pour leur propre protection physique quotidienne.
  • On ne me demande jamais de parler au nom de tous les membres de mon groupe racial.
  • Je peux organiser mes activités de manière à ne jamais éprouver de sentiments de rejet en raison de ma race.

En ouvrant encore plus, le cœur brisé, la honte et la culpabilité sont apparus. Mais en y regardant de plus près, je me suis rendue compte que pour être une alliée efficace des amis des Personnes de Couleurs, ils n’ont pas besoin d’un autre Blanc accablé et coincé dans la culpabilité. Je me suis souvenue de l’enseignement de Thay à un ancien combattant américain qui avait tué quatre enfants vietnamiens pendant la guerre. Plutôt que d’être accablé et paralysé par sa honte, il pouvait maintenant sauver des milliers d’enfants en devenant un militant pour la justice sociale. Sachant que le silence est une complicité, je me sens déterminée à pratiquer.

D’abord en développant de la compassion pour moi-même, puis pour mes parents qui ont été conditionnés par leur éducation et la société dans les années 1930. Je prends soin de mes sentiments forts en reconnaissant les germes de violence, d’avidité et de peur en moi, et en les embrassant tendrement comme une mère le ferait avec son enfant en pleurs.

Transformer les semences

Maintenant de retour en France, je continue ce travail de regard profond de la race avec un groupe de pratiquants du Village des Pruniers, laïcs et monastiques. Nous avons pris l’initiative de créer un groupe d’étude en ligne sur la prise de conscience d’être Blanc. Nous venons de France, de Hollande, d’Allemagne, de Suède, de Nouvelle-Zélande et d’Angleterre. Nous créons un espace de sécurité dans nos appels Zoom mensuels, pour partager, écouter avec compassion, retenir nos sentiments douloureux. Nous nous exerçons avec amour et compréhension à transformer, en utilisant notre détermination et notre aspiration au changement.

Certain.es sont consterné.es par la nécessité de créer un espace séparé pour les Blancs afin de faire ce travail. Ruth King, enseignante du Dharma afro-américaine et auteur de « Mindful of Race », offre un aperçu et des conseils :

«  »Dans un groupe d’affinité raciale, les Blancs peuvent…cultiver la solidarité raciale, la compassion et se soutenir mutuellement en s’asseyant avec le malaise, la confusion et l’engourdissement qui accompagnent souvent l’éveil racial des Blancs. Ils peuvent également discerner les privilèges des Blancs et leur impact sans l’aide ou la dépendance des Personnes de Couleurs ».

Le prochain Bouddha pourrait être une sangha

En février 2020, après presque deux ans d’études, nous avons organisé une mini retraite pilote au monastère de la Source Guérissante. L’animateur était un formateur antiraciste professionnel, qui pratique également dans la tradition du Village des Pruniers. Au cours de cette puissante retraite, l’animateur nous a guidés à travers des exercices qui nous ont fait prendre conscience de la façon dont chacun d’entre nous a été conditionné dès son plus jeune âge à discriminer les personnes de couleur. Je me suis souvenu des films de cow-boys que mon père aimait regarder à la télévision, du génocide des Amérindiens comme divertissement ? Je me suis souvenu du « Black and White Ministrel Show », une production musicale hebdomadaire pour la télévision que toute la famille regardait. L’émission mettait en scène des hommes blancs au visage noir qui dépeignaient les Afro-Américains comme des enfants et des gens simples. Mon enfance était pleine de comptines et de livres pour enfants contenant des mots et des images offensants et dégradants. Et bien d’autres choses encore.

Peu à peu, j’ai réalisé à quel point l’esclavage et le colonialisme ont été possibles. En voyant les Personnes de Couleurs comme différentes, en dehors du cercle de moralité historiquement Blanc, les corps non blancs pouvaient être exploités et brutalisés sans remords. Tragiquement, ce modèle a perduré pendant des siècles et continue aujourd’hui comme une graine transmise par les ancêtres. En tant que Blancs, nous avons toujours la forte habitude de nous considérer et de considérer notre culture comme « la norme » alors que la majorité mondiale est « l’autre ».

Grâce à notre pratique de la pleine conscience, nous pouvons briser ce cycle de «l’altérité» qui trouve son origine dans la discrimination et les perceptions erronées. Ce n’est que si nous pouvons prendre conscience de nos habitudes et de nos conditionnements profondément ancrés en nous et en nous libérant, que nous pourrons agir de la meilleure place dans notre cœur. Pour ce faire, nous devons d’abord reconnaître le malaise dans notre corps, tel qu’il se présente. Nous l’accueillons avec tendresse, nous acceptons les sentiments et nous développons progressivement une résilience, en comprenant que ce malaise est la boue dans laquelle le lotus va pousser.

Maintenant, quand un malaise survient, je le vois comme une invitation à être courageuse. Je peux poser la question : « Est-ce que c’est une chose maladroite que j’ai dite ? Je peux y répondre de manière réfléchie en tenant compte des besoins de l’autre personne, puis en m’excusant, en l’écoutant ou en lui laissant de l’espace. Je peux servir d’alliée aux personnes de couleur et partager avec d’autres personnes la pratique de prendre conscience d’être Blanc.

À la fin de la retraite, nous nous sentions crus, vulnérables, déconstruits, mais pleins d’espoir. En tant que Sangha, nous nous soutenons et nous nous encourageons les uns les autres, en continuant le travail ensemble.

Cette pratique aide également ma vie monastique, m’aidant à construire l’harmonie entre les nationalités mais respectant également mon besoin de sanctuaire culturel. En suivant les traces de notre maître, Thay, nous savons que notre chemin est celui de la contemplation et de l’action. Il nous apprend à être courageux, créatif et à aller comme une rivière. Comme une rivière, la prise de conscience blanche n’est pas un état qui peut être atteint, mais un chemin de pratique.

Resources:

Vous trouverez ici des ressources permettant de poursuivre la lecture, l’étude et la discussion, idéalement dans un groupe de la « conscience blanche ». De plus, voici une liste (en anglais) de 100 actions antiracistes et d’autres suggestions d’actions en tant que parents, éducateurs, hommes d’affaires, administrateurs, membres de la sangha et en tant qu’êtres humains. Bien que ces idées soient orientées vers les États-Unis, nombre d’entre elles peuvent être appliquées à notre situation en Europe et servir à ouvrir les conversations. Si les listes de ressources vous semblent trop nombreuses, répondez au quiz sur l’identité blanche (en anglais) et recevez une liste individualisée de recommandations adaptées aux différents niveaux de sensibilisation.


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Thich Nhat Hanh January 15, 2020

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