L’une des plus précieuses contributions de Thich Nhat Hanh est d’avoir mis l’accent sur le fait que le vrai sens du bouddhisme n’est pas de s’asseoir sur un coussin dans un monastère retiré du monde mais bien d’utiliser la vision profonde de la pleine conscience pour changer le monde et le rendre meilleur.
Le terme « bouddhisme engagé » a été proposé par Thich Nhat Hanh, grand militant pour la paix, durant la guerre du Vietnam, comme une réponse aux problèmes sociaux et économiques.
Dans cet interview, Sr. Luc Nghiem nous partage son expérience de bouddhisme engagé en pratique.
Q : Les thèmes récurrents du bouddhisme engagé sont le respect, la non-violence et la compassion. Est-ce que c’est l’engagement à ces principes qui t’a motivé à devenir nonne dans la tradition du Village des Pruniers ?
Probablement, mais à l’époque je ne le savais pas. Le Village des Pruniers est le résultat direct de la manière dont notre Maître a transformé la souffrance de la guerre du Vietnam en magnifiques fleurs de lotus, la Sangha du Village des Pruniers. Il y a beaucoup de raisons qui font que je suis nonne, découvrir le chemin qui mène au Vrai Bonheur – la quatrième Noble Vérité – en a été une ! Quand je suis arrivée pour la première fois au Hameau du Bas, mon coeur a été si ému d’être en contact avec la grâce, la joie, l’amour et la paix de cet environnement. Je me suis sentie en sécurité et j’ai su immédiatement que c’était l’endroit où je voulais prendre refuge.
Q : Aujourd’hui, en quoi le bouddhisme engagé est-t-il important pour toi et comment le pratiques-tu ?
Notre Maître nous rappelle continuellement que le bouddhisme, ce n’est pas seulement les prières, les chants et l’assise en zazen dans le hall de méditation, mais aussi transposer les fruits de notre pratique – tels la paix, l’amour et la vision non-duelle – dans notre vie quotidienne afin de les partager avec les autres et tous les êtres vivants.
Nous avons besoin de ces deux aspects du bouddhisme. Nous avons besoin de temps pour développer l’arrêt – à travers des pratiques formelles comme la méditation assise et la marche méditative – afin d’être “sur le terrain” avec suffisamment de stabilité, de joie et de sagesse. En tant que pratiquant, nous pouvons offrir au monde notre non-peur et c’est quelque chose qui se doit d’être cultivé en tout temps. Nous sommes comme un jardinier qui prend soin des fleurs. Comme toute chose dans ce monde, notre stabilité, notre amour, notre joie, notre paix sont impermanents et si nous ne les nourrissons pas au quotidien, ces énergies périront. C’est l’un des aspects du bouddhisme engagé. Par exemple, lorsque nous sommes allés en Israël et en Palestine, lieux chers à mon cœur, il y avait beaucoup de choses là-bas qui suscitaient la division et la colère. Mais avec suffisamment de clarté et de stabilité dans nos esprits, nous avons pu préserver notre amour, notre paix et notre joie au lieu de les laisser être tourmentés par les événements extérieurs.
Aujourd’hui, en Israël comme en Palestine, il y a des Sanghas pour les jeunes gens. Les jeunes ont une telle soif d’être en contact avec ce qui apporte une vision nouvelle (la réalité de l’inter-être) et une nouvelle manière de vivre ( Les Cinq Entraînements à la Pleine Conscience ), et j’essaye d’être un soutien pour eux et de les aider dans leur pratique. Notre petit groupe de monastiques et d’amis laïcs organise chaque année une “Tournée du Dharma au Moyen Orient”. Nous créons aussi des opportunités afin que de jeunes Palestiniens et Israéliens viennent nous rendre visite au Village des Pruniers – tout comme Thay l’a fait en 2003 quand le Village des Pruniers a offert une retraite pour les Palestiniens et les Israéliens. Nous sommes la continuation de Thay, nous marchons dans ses pas. Marcher en paix dans les rues de Ramallah, de Hébron ou de Jérusalem est un acte de résistance spirituelle ! Nous résistons à l’énergie collective de violence, de discrimination et de peur.
Q : Quel est le rôle du bouddhisme engagé dans le contexte de l’urgence climatique face à laquelle nous sommes ?
L’autre jour, nous avons regardé un DVD de Thay datant de 1999, dans lequel Thay demandait à toute la Sangha d’arrêter d’utiliser des sacs en plastique. Thay a toujours intégré le respect et la gratitude envers la Terre Mère dans ses enseignements.
Lorsque nous sommes en contact avec les merveilles de la vie, nous ne pouvons dans le même temps les détruire ! Nous allons naturellement essayer de protéger les trésors et la beauté de la vie en prenant des décisions qui vont dans le sens de notre connexion au cœur. Cela signifie que par moments, nous devons mettre de côté nos préférences, nos goûts et nos aversions, en terme de nourriture, de confort matériel, de vêtements. Quand on connaît la souffrance qu’il y a derrière ce que nous consommons et comment nous consommons, il devient facile de faire le “bon choix”, le choix qui provoquera le moins de souffrance possible,: et si possible aucune souffrance ! Cela implique de simplifier notre mode de vie.
C’est notre pratique ici au Village des Pruniers : nous partageons nos maisons, notre nourriture, nos voitures, nos activités. Bien sûr, nous pouvons toujours nous améliorer et notre communauté essaie toujours de voir comment faire encore plus pour protéger et nourrir Terre Mère. La nourriture spirituelle d’amour et de compréhension, de joie et de paix est quelque chose qui nous nourrit tous, y compris notre mère la Terre, c’est sûr ! Il ne faut pas oublier cet aspect de notre pratique et ne pas nous laisser emporter dans le “faire”. Encore une fois, nous avons besoin de ces deux éléments : l’arrêt et l’action.
Il y a quelques semaines, nous avons changé notre fournisseur d’électricité pour un fournisseur d’électricité « verte ». C’est une excellente nouvelle. Nous faisons aussi pousser des légumes locaux, des herbes médicinales et des plantes pour les infusions dans nos Happy Farm grâce au labeur attentif et aimant des volontaires laïcs. Et grâce à chacun d’entre nous ici, au Village des Pruniers, beaucoup d’autres “petits” détails de notre vie quotidienne contribuent à tout cela.
En ce moment, une fleur est en train d’éclore, c’est une communauté francophone de monastiques et de membres laïcs, les Gardiens de la Terre. Cela va permettre d’apporter les pratiques du Village des Pruniers de manière très concrète dans les cercles et groupes d’activistes pour le climat en France et à travers l’Europe, afin de soutenir ceux qui en ont besoin et d’être un refuge pour eux.
Q : Aurais-tu un dernier conseil à partager pour nous aider à pratiquer au mieux le bouddhisme engagé ?
À bien des égards, ce monde a tellement besoin de guérison, d’amour, de paix, de pardon qu’en tant que pratiquants, nous devons faire attention à ne pas nous perdre dans le “faire”. Nous devons toujours nous souvenir que notre paix et notre joie sont les présents les plus importants. Si nous les perdons, nos actions n’auront pas la même saveur ni le même parfum.
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