Cette traduction a été rédigée par Thich Nhat Hanh à partir du Madhyama Agama n°25. Elle correspond à l’Aghata Vinaya Sutta (« Discours sur l’eau comme exemple »), dans l’Anguttara Nikaya iii, 186.
Ce texte a été publié dans le livre Chants du Coeur, Thich Nhat Hanh (Editions Sully 2009). Il est récité régulièrement dans les centres de pratique du Village des Pruniers tout autour du monde, faisant partie des sessions d’assise et de chants quotidiens.
Voici ce que j’ai entendu un jour lorsque le Bouddha demeurait encore au monastère d’Anathapindika, dans le parc de Jeta, non loin de Shravasti. Ce jour-là, le Vénérable Shariputra dit aux bhikshus :
« Chers amis, aujourd’hui je souhaite partager avec vous les cinq méthodes pour mettre fin à la colère et à la haine. Je vous prie de m’écouter attentivement et de méditer sur ce que je vais vous dire. »
Les bhikshus consentirent à l’écouter attentivement.
« Quelles sont ces cinq méthodes pour mettre fin à l’irritation et à la colère ? demanda le Vénérable Shariputra.
« Mes chers amis, voici la première méthode : lorsque les paroles d’une personne sont aimables mais que ses actes ne le sont pas et que nous sommes irrités ou en colère contre elle, si nous sommes sages, nous devrions savoir comment méditer pour mettre fin à notre irritation ou à notre colère. »
« Chers amis, imaginons un bhikshu qui pratique l’ascétisme et porte toujours une robe faite de morceaux de tissu. Un jour, il passe devant un dépotoir chargé d’excréments, de d’urine, de pus et de beaucoup d’autres saletés. Il y voit un morceau de tissu encore intact. De sa main gauche, il le ramasse et de sa main droite, il l’étend. Voyant que le morceau de tissu n’est pas encore troué ni sali par les excréments, l‘urine, le pus et d’autres saletés, il le plie aussitôt, le garde et le ramène chez lui pour le laver puis le coudre avec d’autres morceaux afin de faire une robe.
Chers amis, de la même manière, quand une personne n’agit pas avec amabilité mais parle avec gentillesse, ne prêtons pas attention à ses actes, pensons uniquement à ses paroles afin de mettre fin à notre irritation ou à notre colère. C’est ainsi qu’un sage pratique. »
« Mes chers amis, voici la seconde méthode : lorsqu’une personne agit avec gentillesse, mais ne s’exprime pas aimablement et que nous sommes irrités ou en colère contre elle, si nous sommes sages, nous saurons comment méditer pour mettre fin à notre irritation ou à notre colère.
« Mes chers frères, disons que non loin du village se trouve un lac profond, mais sa surface est couverte d’algues et d’herbes. A ce moment-là, une personne torturée par la faim, la soif et la chaleur s’approche du lac. Elle se déshabille, pose ses vêtements au bord du lac, plonge dans l’eau, écarte les algues et les herbes de ses deux bras, se désaltère et savoure la baignade à son gré.
Chers amis, il en est ainsi lorsque quelqu’un ne parle pas avec amabilité mais agit avec gentillesse. Ne prêtons pas attention à ses paroles, mais soyons attentifs uniquement à ses actes gentils afin de mettre fin à notre irritation et à notre colère. C’est ainsi qu’un sage pratique. »
« Mes chers amis, voici la troisième méthode : lorsqu’une personne n’agit ni ne parle gentiment, mais a encore quelques pensées aimables et que nous sommes irrités ou en colère contre elle, si nous avons une vision profonde, nous trouverons un moyen de méditer de façon à mettre fin à notre irritation ou à notre colère.
« Chers amis, supposons qu’une personne qui se trouve à bout de force, qui souffre de la soif, de la pauvreté, de la chaleur et des afflictions, arrive à un carrefour. A ce carrefour se trouve un trou creusé par l’empreinte de pied de buffle, dans lequel un peu d’eau de pluie stagne encore. La personne pense : « Comme il y a très peu d’eau dans cette empreinte de pas de buffle, si je la prends avec ma main ou une feuille, je risque de la remuer et de la rendre trouble, boueuse et imbuvable. Je ne pourrais donc pas me désaltérer, ni soulager ma misère, la chaleur et mes souffrances ». Je vais donc m’agenouiller, poser mes bras et mes genoux par terre, et ma bouche dans le trou pour boire l’eau directement ». Immédiatement, cette personne se met à plat ventre, bras et genoux complètement sur le sol, et boit en posant sa bouche à même le trou creusé par l’empreinte.
« Mes chers frères, de la même manière, quand une personne n’agit ni ne parle gentiment, mais a encore un tant soit peu d’amabilité dans ses pensées, soyons indulgents envers ses actes ou ses paroles et soyons attentifs seulement à ses rares pensées aimables, afin de mettre fin à notre irritation ou à notre colère. C’est ainsi qu’un sage pratique. »
« Mes chers amis, voici la quatrième méthode : si une personne n’agit ni ne parle gentiment et que dans son cœur, il ne reste plus rien que l’on puisse qualifier d’aimable, si nous sommes irrités ou en colère, et que nous sommes sages, nous trouverons un moyen de méditer de façon à pouvoir mettre fin à notre irritation ou à notre colère.
« Chers amis, prenons l’exemple d’une personne qui fait un long voyage et tombe malade à mi-chemin. Le dernier village qu’elle a quitté est déjà loin, et la distance qui la sépare du prochain est encore longue. Souffrante, épuisée et seule, elle tombe dans le désespoir sachant qu’elle mourra en chemin. A ce moment-là, une personne apparaît, la trouve dans cet état et lui porte secours immédiatement. Elle la soutient de ses bras, l’emmène au prochain village, prend soin d’elle, la soigne et lui fournit tous les aliments et les médicaments nécessaires. Grâce à cet amour et à ces bons soins, la personne est sauvée.
De la même manière, chers amis, quand nous voyons quelqu’un qui n’agit ni ne parle gentiment et qui n’a dans le cœur plus rien qui s’apparente à l’amabilité, pensons comme ceci : une personne dont les actes, les paroles et les pensées ne sont pas aimables est une personne qui éprouve une grande souffrance. Elle se dirige certainement vers une voie périlleuse. Elle n’aura aucune chance de se transformer et de s’orienter vers le chemin menant au bonheur si elle ne rencontre pas d’amis sages. En pensant ainsi, nous pouvons ouvrir notre cœur à la compassion, mettre fin à notre irritation ou notre colère et aider cette personne. C’est ainsi qu’un sage pratique. »
« Mes chers amis, voici la cinquième méthode : si quelqu’un agit et parle gentiment, qu’il est également aimable dans ses pensées et que, malgré cela, mous sommes irrités, en colère ou jaloux de lui, si nous sommes sages, nous trouverons un moyen de méditer de façon à pouvoir mettre fin à notre irritation ou colère.
« Chers amis, supposons que, non loin d’un village se trouve un très beau lac. L’eau du lac est aussi limpide que douce. Le fond est profond et plat. La rive est régulière et couverte d’herbes vertes. Le pourtour baigne dans l’ombre des arbres luxuriants. Une personne assoiffée, accablée par la chaleur et couverte de sueur arrive au lac. Elle se déshabille, pose ses vêtements au bord du lac, plonge dans l’eau, se désaltère et savoure pleinement la baignade à son gré. La chaleur, la soif et la misère, tout se dissipe. Il en est ainsi, chers amis, quand nous voyons quelqu’un qui agit, parle et pense avec bonté, reconnaissons cette amabilité dans les trois domaines des actes, paroles et pensées, sans laisser l’irritation, la colère ou la jalousie nous envahir. Si nous ne savons pas comment vivre heureux avec une telle personne, alors nous n’avons vraiment aucune vision profonde. »
« Mes chers frères, j’ai partagé avec vous les cinq méthodes pour mettre fin à l’irritation et à la colère ».
Après avoir entendu le Vénérable Shariputra, les bhisksus furent heureux de recevoir ces enseignements et de les mettre en pratique.
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